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Livre 4 - MELPOMÈNE
I. Après la
prise de
Babylone, Darius
marcha en
personne contre
les Scythes.
L'Asie était
alors riche,
très peuplée, et
se trouvait dans
l'état le plus
florissant. Ce
prince
souhaitait
ardemment se
venger de
l'insulte que
les Scythes
avaient faite
les premiers aux
Mèdes, en
entrant à main
armée dans leur
pays, et de ce
qu'après une
victoire
complète ils
étaient devenus
les maîtres de
l'Asie
supérieure
pendant
vingt-huit
années, comme je
l'ai dit
auparavant. Ils
y étaient entrés
en poursuivant
les Cimmériens,
et en avaient
enlevé l'empire
aux Mèdes, qui
le possédaient
avant leur
arrivée.
Après une
absence de
vingt-huit ans,
les Scythes
avaient voulu
retourner dans
leur patrie ;
mais ils
n'avaient pas
trouvé dans
cette entreprise
moins de
difficultés
qu'ils n'en
avaient
rencontré en
voulant pénétrer
en Médie. Une
armée nombreuse
était allée au-devant
d'eux, et leur
en avait disputé
l'entrée ; car
leurs femmes,
ennuyées de la
longueur de leur
absence, avaient
eu commerce avec
leurs esclaves.
II. Les Scythes
crèvent les yeux
à tous leurs
esclaves, afin
de les employer
à traire le lait,
dont ils font
leur boisson
ordinaire. Ils
ont des
soufflets d'os
qui ressemblent
à des flûtes ;
ils les mettent
dans les parties
naturelles des
juments ; les
esclaves
soufflent dans
ces os avec la
bouche, tandis
que d'autres
tirent le lait.
Ils se servent,
à ce qu'ils
disent, de ce
moyen parce que
le souffle fait
enfler les
veines des
juments, et
baisser leur
mamelle.
Lorsqu'ils ont
tiré le lait,
ils le versent
dans des vases
de bois autour
desquels ils
placent leurs
esclaves pour le
remuer et
l'agiter. Ils
enlèvent la
partie du lait
qui surnage, la
regardant comme
la meilleure et
la plus
délicieuse, et
celle de dessous
comme la moins
estimée. C'est
pour servir à
cette fonction
que les Scythes
crèvent les yeux
à tous leurs
prisonniers ;
car ils ne sont
point
cultivateurs,
mais nomades.
III. De ces
esclaves et des
femmes scythes,
il était né
beaucoup de
jeunes gens,
qui, ayant
appris quelle
était leur
naissance,
marchèrent au-devant
des Scythes qui
revenaient de la
Médie. Ils
commencèrent
d'abord par
couper le pays
en creusant un
large fossé
depuis les monts
Tauriques
jusqu'au
Palis-Maeotis,
qui est d'une
vaste étendue.
Ils allèrent
ensuite camper
devant les
Scythes qui
tâchaient de
pénétrer dans le
pays, et les
combattirent. Il
y eut entre eux
des actions
fréquentes, sans
que les Scythes
pussent
remporter le
moindre avantage.
«Scythes, que
faisons-nous ?
s'écria l'un
d'entre eux ;
s'ils nous tuent
quelqu'un des
nôtres, notre
nombre diminue ;
et, si nous
tuons quelqu'un
d'entre eux,
nous diminuons
nous-mêmes le
nombre de nos
esclaves.
Laissons là, si
vous m'en croyez,
nos arcs et nos
javelots, et
marchons à eux,
armés chacun du
fouet dont il se
sert pour mener
ses chevaux.
Tant qu'ils nous
ont vus avec nos
armes, ils se
sont imaginé
qu'ils étaient
nés nos égaux.
Mais quand, au
lieu d'armes,
ils nous verront
le fouet à la
main, ils
apprendront
qu'ils sont nos
esclaves, et,
convaincus de la
bassesse de leur
naissance, ils
n'oseront plus
nous résister.»
IV. Ce conseil
fut suivi. Les
esclaves étonnés
prirent,
aussitôt la
fuite, sans
songer à
combattre. C'est
ainsi que
rentrèrent dans
leur pays les
Scythes, qui,
après avoir été
les maîtres de
l'Asie, en
avaient été
chassés par les
Mèdes. Darius
leva contre eux
une nombreuse
armée, pour se
venger de cette
invasion.
V. Les Scythes
disent que de
toutes les
nations du monde
la leur est la
plus nouvelle,
et qu'elle
commença ainsi
que je vais le
rapporter.
La Scythie était
autrefois un
pays désert. Le
premier homme
qui y naquit
s'appelait
Targitaüs. Ils
prétendent qu'il
était lits de
Jupiter et d'une
fille du
Borysthène :
cela ne me
paraît nullement
croyable ; mais
telle est
l'origine qu'ils
rapportent. Ce
Targitaüs eut
trois fils
l'aîné
s'appelait
Lipoxaïs, le
second Arpoxaïs,
et le plus jeune
Colaxaïs.
Sous leur règne,
il tomba du ciel,
dans la Scythie,
une charrue, un
joug, une hache
et une soucoupe
d'or. L'aîné les
aperçut le
premier, et s'en
approcha dans le
dessein de s'en
emparer ; mais
aussitôt l'or
devint brûlant.
Lipoxaïs s'étant
retiré, le
second vint
ensuite, et l'or
s'enflamma de
nouveau. Ces
deux frères
s'étant donc
éloignés de cet
or brûlant, le
plus jeune s'en
approcha, et
trouvant l'or
éteint, il le
prit et
l'emporta chez
lui. Les deux
aînés, en ayant
eu connaissance,
lui remirent le
royaume en
entier.
VI. Ceux d'entre
les Scythes
qu'on appelle
Auchates sont, à
ce qu'on dit,
issus de
Lipoxaïs ; ceux
qu'on nomme
Catiares et
Traspies
descendent
d'Arpoxaïs, le
second des trois
frères ; et du
plus jeune, qui
fut roi,
viennent les
Paralates. Tous
ces peuples en
général
s'appellent
Scolotes, du
surnom de leur
roi ; mais il a
plu aux Grecs de
leur donner le
nom de Scythes.
VII. C'est ainsi
que les Scythes
racontent
l'origine de
leur nation. ils
ajoutent qu'à
compter de cette
origine et de
Targitaüs, leur
premier roi,
jusqu'au temps
oit Darius passa
dans leur pays,
il n'y a pas en
tout plus de
mille ans, mais
que certainement
il n'y en a pas
moins. Quant à
l'or sacré, les
rois le gardent
avec le plus
grand soin.
Chacun d'eux le
fait venir tous
les ans dans ses
États, et lui
offre de grands
sacrifices pour
se le rendre
propice. Si
celui qui a cet
or en garde
s'endort le jour
de la fête, en
plein air, il
meurt dans
l'année, suivant
les Scythes ; et
c'est pour le
récompenser et
le dédommager du
risque qu'il
court qu'on lui
donne toutes les
terres dont il
peut, dans une
journée, faire
le tour à
cheval. Le pays
des Scythes
étant très
étendu, Colaxaïs
le partagea en
trois royaumes,
qu'il donna à
ses trois fils.
Celui des trois
royaumes où l'on
gardait l'or
tombé du ciel
était le plus
grand. Quant aux
régions situées
au nord et au-dessus
des derniers
habitants de ce
pays, les
Scythes disent
que la vue ne
peut percer plus
avant, et qu'on
ne peut y entrer,
à cause des
plumes qui y
tombent de tous
côtés. L'air en
est rempli, et
la terre
couverte ; et
c'est ce qui
empêche la vue
de pénétrer plus
avant.
VIII. Voilà ce
que les Scythes
disent
d'eux-mêmes, et
du pays situé
au-dessus du
leur. Mais les
Grecs, qui
habitent les
bords du Pont-Euxin,
racontent
qu'Hercule,.
emmenant les
troupeaux de
boeufs de Géryon,
arriva dans le
pays occupé
maintenant par
les Scythes, et
qui était alors
désert ; que
Géryon demeurait
par delà le
Pont, dans une
île que les
Grecs appellent
Érythie, située
près de Gades,
dans l'Océan, au
delà des
colonnes
d'Hercule. Ils
prétendent aussi
que l'Océan
commence à l'est,
et environne
toute la terre
de ses eaux ;
mais ils se
contentent de
l'affirmer sans
en apporter de
preuves.
Ils ajoutent
qu'Hercule,
étant parti de
ce pays, arriva
dans celui qu'on
connaît
aujourd'hui sous
le nom de
Scythie ; qu'y
ayant été
surpris d'un
orage violent et
d'un grand froid,
il étendit sa
peau de lion,
s'en enveloppa,
et s'endormit ;
et que ses
juments, qu'il
avait détachées
de son char pour
paître,
disparurent
pendant son
sommeil, par une
permission
divine.
IX. Hercule les
chercha à son
réveil,
parcourut tout
le pays, et
arriva enfin
dans le canton
appelé Hylée. Là
il trouva, dans
un antre, un
monstre composé
de deux natures,
femme depuis la
tête
jusqu'au-dessous
de la ceinture,
serpent par le
reste du corps.
Quoique surpris
en la voyant, il
lui demanda si
elle n'avait
point vu quelque
part ses chevaux.
«Je les ai chez
moi, lui
dit-elle ; mais
je ne vous les
rendrai point
que vous n'ayez
habité avec moi.»
Hercule lui
accorda à ce
prix ce qu'elle
désirait. Cette
femme différait
cependant de lui
remettre ses
chevaux, afin de
jouir plus
longtemps de sa
compagnie.
Hercule de son
côté souhaitait
les recouvrer
pour partir
incessamment.
Enfin elle les
lui rendit, et
lui tint en même
temps ce
discours : «Vos
chevaux étaient
venus ici ; je
vous les ai
gardés : j'en ai
reçu la
récompense. J'ai
conçu de vous
trois enfants.
Mais que faudra-t-il
que j'en fasse,
quand ils seront
grands ? Les
établirai-je
dans ce pays-ci,
dont je suis la
souveraine ? ou
voulez-vous que
je vous les
envoie ?»
«Quand
ces enfants
auront atteint
l'âge viril, lui
répondit Hercule,
suivant les
Grecs, en vous
conduisant de la
manière que je
vais dire, vous
ne courrez point
risque de vous
tromper. Celui
d'entre vous que
vous verrez
bander cet arc
comme moi et se
ceindre de ce
baudrier comme
je fais, retenez-le
dans ce pays, et
qu'il y fixe sa
demeure. Celui
qui ne pourra
point exécuter
les deux choses
que j'ordonne,
faites-le sortir
du pays. Vous
vous procurerez
par l'a de la
satisfaction, et
vous ferez ma
volonté.»
X. Hercule, en
finissant ces
mots, tira l'un
de ses arcs, car
il en avait eu
deux jusqu'alors,
et le donna à
cette femme. Il
lui montra aussi
le baudrier ; à
l'endroit où il
s'attachait
pendait une
coupe d'or : il
lui en fit aussi
présent, après
quoi il partit.
Lorsque ces
enfants eurent
atteint l'âge
viril, elle
nomma l'aîné
Agathyrsus, le
suivant Gélonus,
et le plus jeune
Scythès. Elle se
souvint aussi
des ordres
d'Hercule, et
les suivit. Les
deux aînés,
trouvant au-dessus
de leurs forces
l'épreuve
prescrite,
furent chassés
par leur mère,
et allèrent
s'établir en
d'autres pays.
Scythès, le plus
jeune des trois,
fit ce que son
père avait
ordonné, et
resta dans sa
patrie. C'est de
ce Scythès, fils
d'Hercule, que
sont descendus
tous les rois
qui lui ont
succédé en
Scythie ; et,
jusque
aujourd'hui, les
Scythes ont
toujours porté
au bas de leur
baudrier une
coupe, à cause
de celle qui
était attachée à
ce baudrier.
Telle fut la
chose qu'imagina
sa mère en sa
faveur. C'est
ainsi que les
Grecs qui
habitent les
bords du Pont-Euxin
rapportent cette
histoire.
XI. On en
raconte encore
une autre à
laquelle je
souscris
volontiers. Les
Scythes nomades
qui habitaient
en Asie,
accablés par les
Massagètes, avec
qui ils étaient
en guerre,
passèrent
l'Araxe et
vinrent en
Cimmérie ; car
le-pays que
possèdent
aujourd'hui les
Scythes
appartenait
autrefois, à ce
que l'on dit,aux
Cimmériens.
Ceux-ci,les
voyant fondre
sur leurs terres,
délibérèrent
entre eux sur
cette attaque.
Les sentiments
furent partagés,
et tous deux
furent extrêmes
; celui des rois
était le
meilleur. Le
peuple était
d'avis de se
retirer, et de
ne point
s'exposer au
hasard d'un
combat contre
une si grande
multitude ; les
rois voulaient,
de leur côté,
qu'on livrât
bataille à ceux
qui venaient les
attaquer. Le
peuple ne voulut
jamais céder au
sentiment de ses
rois, ni les
rois suivre
celui de leurs
sujets. Le
peuple était
d'avis de se
retirer sans
combattre, et de
livrer le pays à
ceux qui
venaient
l'envahir ; les
rois, au
contraire,
avaient décidé
qu'il valait
mieux mourir
dans la patrie
que de fuir avec
le peuple. D'un
côté, ils
envisageaient
les avantages
dont ils avaient
joui jusqu'alors
; et, d'un autre,
ils prévoyaient
les maux, qu'ils
auraient
indubitablement
à souffrir s'ils
abandonnaient
leur patrie.
Les deux partis
persévérant dans
leur première
résolution, la
discorde
s'alluma entre
eux de plus en
plus. Comme ils
étaient égaux en
nombre, ils en
vinrent aux
mains. Tous ceux
qui périrent
dans cette
occasion furent
enterrés, par le
parti du peuple,
près du fleuve
Tyras, où l'on
voit encore
aujourd'hui
leurs tombeaux.
Après avoir
rendu les
derniers devoirs
aux morts, on
sortit du pays
et les Scythes,
le trouvant
désert et
abandonné, s'en
emparèrent.
XII. On trouve
encore
aujourd'hui,
dans la Scythie,
les villes de
Cimmérium et de
Porthmies
Cimmériennes. On
y voit aussi un
pays qui retient
le nom de.
Cimmérie, et un
Bosphore appelé
Cimmérien. Il
paraît certain
que les
Cimmériens,
fuyant les
Scythes, se
retirèrent en
Asie, et qu'ils
s'établirent
dans la
presqu'île où
l'on voit
maintenant une
ville grecque
appelée Sinope.
Il ne paraît pas
moins certain
que les Scythes
s'égarèrent en
les poursuivant,
et qu'ils
entrèrent en
Médie. Les
Cimmériens, dans
leur fuite,
côtoyèrent
toujours la mer
; les Scythes,
au contraire,
avaient le
Caucase à leur
droite, jusqu'à
ce que, s'étant
détournés de
leur chemin et
ayant pris par
le milieu des
terres, ils
pénétrèrent en
Médie.
XIII. Cette
autre manière de
raconter la
chose est
également reçue
des Grecs et des
barbares. Mais
Aristée de
Proconnèse, fils
de Caystrobius,
écrit dans son
poème épique
qu'inspiré par
Phébus, il alla
jusque chez les
Issédons ;
qu'au-dessus de
ces peuples on
trouve les
Arimaspes, qui
n'ont qu'un oeil
; qu'au delà
sont les
Gryplions, qui
gardent l'or ;
que plus loin
encore demeurent
les Hyperboréens,
qui s'étendent
vers la mer; que
toutes ces
nations, excepté
les Hyperboréens,
font
continuellement
la guerre à
leurs voisins, à
commencer par
les Arimaspes ;
que les Issédons
ont été chassés
de leur pays par
les Arimaspes,
les Scythes par
les Issédons; et
les Cimmériens,
qui habitaient
les côtes de la
mer au midi,
l'ont été par
les Scythes.
Ainsi Aristée ne
s'accorde pas
même avec les
Scythes sur
cette contrée.
XIV. On a vu de
quel pays était
Aristée, auteur
des histoires
qu'on vient de
lire. Mais je ne
dois pas passer
sous silence ce
que j'ai oui
raconter de lui
à Proconnèse et
à Cyzique.
Aristée était
d'une des
meilleures
familles de son
pays ; on
raconte qu'il
mourut à
Proconnèse, dans
la boutique d'un
foulon, où il
était entré par
hasard ; que le
foulon, ayant
fermé sa
boutique, alla
sur-le-champ
avertir les
parents du mort
; que ce bruit
s'étant bientôt
répandu par
toute la ville,
un Cyzicénien,
qui venait
d'Artacé,
contesta cette
nouvelle, et
assura qu'il
avait rencontré
Aristée allant à
Cyzique, et
qu'il lui avait
parlé ; que,
pendant qu'il le
soutenait
fortement, les
parents du mort
se rendirent à
la boutique du
foulon, avec
tout ce qui
était nécessaire
pour le porter
au lieu de la
sépulture ; mais
que, lorsqu'on
eut ouvert la
maison, on ne
trouva Aristée
ni mort ni vif ;
que, sept ans
après, il
reparut à
Proconnèse, y
fit ce poème
épique que les
Grecs appellent
maintenant
Arimaspies, et
qu'il disparut
pour la seconde
fois. Voilà ce
que disent
d'Aristée les
villes de
Proconnèse et de
Cyzique.
XV. Mais voici
ce que je sais
être arrivé aux
Métapontins en
Italie, trois
cent quarante
ans après
qu'Aristée eut
disparu pour la
seconde fois,
comme je le
conjecture
d'après ce que
j'ai entendu
dire à
Proconnèse et à
Métaponte. Les
Métapontins
content
qu'Aristée leur
ayant apparu
leur commanda
d'ériger un
autel à Apollon,
et d'élever près
de cet autel une
statue à
laquelle on
donnerait le nom
d'Aristée de
Proconnèse ;
qu'il leur dit
qu'ils étaient
le seul peuple
des Italiotes
qu'Apollon eût
visité ; que
lui-même, qui
était maintenant
Aristée,
accompagnait
alors le dieu
sous la forme
d'un corbeau ;
et qu'après ce
discours il
disparut. Les
Métapontins
ajoutent
qu'ayant envoyé
à Delphes
demander au dieu
quel pouvait
être ce spectre,
la Pythie leur
avait ordonné
d'exécuter ce
qu'il leur avait
prescrit, et
qu'ils s'en
trouveraient
mieux ; et que,
sur cette
réponse, ils
s'étaient
conformés aux
ordres qui leur
avaient été
donnés. On voit
encore
maintenant sur
la place
publique de
Métaponte, près
de la statue
d'Apollon, une
autre statue qui
porte le nom
d'Aristée, et
des lauriers qui
les environnent.
Mais en voilà
assez sur
Aristée.
XVI. On n'a
aucune
connaissance
certaine de ce
qui est au delà
du pays dont
nous avons
dessein de
parler. Pour moi,
je n'ai trouvé
personne qui
l'ait vu.
Aristée, dont je
viens de faire
mention, n'a pas
été an delà des
Issédons, comme
il le dit dans
son poème épique.
Il avoue aussi
qu'il tenait des
Issédons ce
qu'il racontait
des pays plus
éloignés, et
qu'il n'en
parlait que sur
leur rapport.
Quoi qu'il en
soit, nous avons
porté nos
recherches le
plus loin qu'il
nous a été
possible, et
nous allons dire
tout ce que nous
avons appris de
plus certain par
les récits qu'on
nous a faits.
XVII. Après le
port des
Borysthénites,
qui occupe
justement le
milieu des côtes
maritimes de
toute la Scythie,
les premiers
peuples qu'on
rencontre sont
les Callipides ;
ce sont des
Gréco-Scythes.
Au-dessus d'eux
sont les Alazons.
Ceux-ci et les
Callipides
observent en
plusieurs choses
les mêmes
coutumes que les
Scythes; mais
ils sèment du
blé et mangent
des oignons, de
l'ail, des
lentilles et du
millet. Au-dessus
des Alazons
habitent les
Scythes
laboureurs, qui
sèment du blé,
non pour en
faire leur
nourriture, mais
pour le vendre.
Par delà ces
Scythes on
trouve les
Neures. Autant
que nous avons
pu le savoir, la
partie
septentrionale
de leur pays
n'est point
habitée. Voilà
les nations
situées le long
du fleuve
Hypanis, à
l'ouest du
Borysthène.
XVIII. Quand on
a passé ce
dernier fleuve,
on rencontre
d'abord l'Hylée,
vers les côtes
de la mer. Au-dessus
de ce pays sont
les Scythes
cultivateurs.
Les Grecs qui
habitent les
bords de
l'Hypanis les
appellent
Borysthénites ;
ils se donnent
eux-mêmes le nom
d'Olbiopolites.
Le pays de ces
Scythes
cultivateurs a,
à l'est, trois
jours de chemin,
et s'étend
jusqu'au fleuve
Panticapes ;
mais celui
qu'ils ont au
nord est de onze
jours de
navigation, en
remontant le
Borysthène. Plus
avant, on trouve
de vastes
déserts au delà
desquels
habitent les
Androphages,
nation
particulière, et
nullement
scythe. Au-dessus
des Androphages,
il n'y a plus
que de
véritables
déserts ; du
moins n'y
rencontre-t-on
aucun peuple,
autant que nous
avons pu le
savoir.
XIX. A l'est de
ces Scythes
cultivateurs et
au delà du
Panticapes, vous
trouvez les
Scythes nomades,
qui ne sèment ni
ne labourent. Ce
pays entier, si
vous en exceptez
l'Hylée, est
sans arbres. Ces
nomades occupent
à l'est une
étendue de
quatorze jours
de chemin
jusqu'au fleuve
Gerrhus.
XX. Au delà du
Gerrhus est le
pays des Scythes
royaux. Ces
Scythes sont les
plus braves et
les plus
nombreux ; ils
regardent les
autres comme
leurs esclaves.
Ils s'étendent,
du côté du midi,
jusqu'à la
Tauride ; à
l'est, jusqu'au
fossé que
creusèrent les
fils des
esclaves
aveugles, et
jusqu'à Cremnes,
ville
commerçante sur
le Palus-Maeotis.
Il y a même une
partie de cette
nation qui
s'étend jusqu'au
Tanaïs. Au nord,
au-dessus de ces
Scythes royaux,
on rencontre les
Mélanchlaenes,
peuple qui n'est
point scythe. Au
delà des
Mélanchlaenes,
il n'y a, autant
que nous pouvons
le savoir, que
des marais et
des terres sans
habitants.
XXI. Le pays au
delà du Tanaïs
n'appartient pas
à la Scythie ;
il se partage en
plusieurs
contrées. La
première est aux
Sauromates. Ils
commencent à
l'extrémité du
Palus-Maeotis,
et occupent le
pays qui est au
nord ; il est de
quinze journées
de marche : on
n'y voit ni
arbres fruitiers
ni sauvages. La
seconde contrée
au-dessus des
Sauromates est
habitée par les
Budins ; elle
porte toutes
sortes d'arbres
en abondance.
Mais, au-dessus
et au nord des
Budins, le
premier pays où
l'on entre est
un vaste désert
de sept jours de
chemin.
XXII. Après ce
désert, en
déclinant vers
l'est, vous
trouvez les
Thyssagètes :
c'est une nation
particulière et
nombreuse, qui
ne vit que de sa
chasse. Les
Iyrques leur
sont contigus :
ils habitent le
même pays, et ne
vivent aussi que
de gibier,
qu'ils prennent
de cette manière
: comme tout est
plein de bois,
les chasseurs
montent sur un
arbre pour épier
et attendre la
bête. Ils ont
chacun un cheval
dressé à se
mettre ventre à
terre, afin de
paraître plus
petit. Ils
mènent aussi un
chien avec eux.
Aussitôt que le
chasseur
aperçoit du haut
de l'arbre la
bête à sa portée,
il l'atteint
d'un coup de
flèche, monte
sur son cheval,
et la poursuit
avec son chien,
qui ne le quitte
point.
Au delà des
Iyrques, en
avançant vers
l'est, on trouve
d'autres Scythes
qui, ayant
secoué le joug
des Scythes
royaux, sont
venus s'établir
en cette contrée.
XXIII. Tout le
pays dont je
viens de parler,
jusqu'à celui
des Scythes, est
plat, et les
terres en sont
excellentes et
fortes ; mais au
delà il est rude
et pierreux.
Lorsque vous en
avez traversé
une grande
partie, vous
trouvez des
peuples qui
habitent au pied
de hautes
montagnes. On
dit qu'ils sont
tous chauves de
naissance,
hommes et femmes
; qu'ils ont le
nez aplati et le
menton allongé.
Ils ont une
langue
particulière ;
mais ils sont
vêtus à la
scythe. Enfin,
ils vivent du
fruit d'une
espèce d'arbre
appelé pontique.
Cet arbre, à peu
près de la
grandeur d'un
figuier, porte
un fruit à noyau
de la grosseur
d'une fève.
Quand ce fruit
est mûr, ils le
pressent dans un
morceau d'étoffe,
et en expriment
une liqueur
noire et épaisse,
qu'ils appellent
aschy. Ils
sucent cette
liqueur, et la
boivent mêlée
avec du lait. A
l'égard du marc
le plus épais,
ils en font des
masses qui leur
servent de
nourriture ; car
ils ont peu de
bétail, faute de
bons pâturages.
Ils demeurent
toute l'année
chacun sous un
arbre. L'hiver,
ils couvrent ces
arbres d'une
étoffe de laine
blanche, serrée
et foulée,
qu'ils ont soin
d'ôter pendant
l'été. Personne
ne les insulte :
on les regarde
en effet comme
sacrés. Ils
n'ont en leur
possession
aucune arme
offensive. Leurs
voisins les
prennent pour
arbitres dans
leurs différends
; et quiconque
se réfugie dans
leur pays y
trouve un asile
inviolable, où
personne n'ose
l'attaquer. On
les appelle
Argippéens.
XXIV. On a une
connaissance
exacte de tout
le pays jusqu'à
celui
qu'occupent ces
hommes chauves,
et de toutes les
nations en deçà.
Il n'est pas
difficile d'en
savoir des
nouvelles par
les Scythes qui
vont chez eux,
par les Grecs de
la ville de
commerce située
sur le
Borysthène et
par ceux des
autres villes
commerçantes
situées sur le
Pont-Euxin. Ces
peuples parlent
sept langues
différentes.
Ainsi les
Scythes qui
voyagent dans
leur pays ont
besoin de sept
interprètes pour
y commercer.
XXV. On connaît
donc tout ce
pays jusqu'à
celui de ces
hommes chauves :
mais on ne peut
rien dire de
certain de celui
qui est au-dessus
; des montagnes
élevées et
inaccessibles en
interdisent
l'entrée. Les
Argippéens
racontent
cependant
qu'elles sont
habitées par des
Aegipodes, ou
hommes aux pieds
de chèvre ; mais
cela ne me
paraît mériter
aucune sorte de
croyance. Ils
ajoutent aussi
que, si l'on
avance plus
loin, on trouve
d'autres peuples
qui dorment six
mois de l'année.
Pour moi, je ne
puis absolument
le croire. On
sait que le pays
à l'est des
Argippéens est
occupé par les
Issédons ; mais
celui qui est
au-dessus, du
côté du nord,
n'est connu ni
des Argippéens
ni des Issédons,
qui n'en disent
que ce que j'ai
rapporté d'après
eux.
XXVI. Voici les
usages qui
s'observent, à
ce qu'on dit,
chez les
Issédons. Quand
un Issédon a
perdu son père,
tous ses parents
lui amènent du
bétail : ils
l'égorgent, et,
l'ayant coupé
par morceaux,
ils coupent de
même le cadavre
du père de celui
qui les reçoit
dans sa maison,
et, mêlant
toutes ces
chairs ensemble,
ils en font un
festin. Quant à
la tête, ils en
ôtent le poil et
les cheveux, et,
après l'avoir
parfaitement
nettoyée, ils la
dorent, et s'en
servent comme
d'un vase
précieux dans
les sacrifices
solennels qu'ils
offrent tous les
ans. Telles sont
leurs cérémonies
funèbres ; car
ils en observent
en l'honneur de
leurs pères,
ainsi que les
Grecs célèbrent
l'anniversaire
de la mort des
leurs. Au reste,
ils passent
aussi pour aimer
la justice ; et,
chez eux, les
femmes ont
autant
d'autorité que
les hommes.
XXVII. On
connaît donc
aussi ces
peuples ; mais,
pour le pays qui
est au-dessus,
on sait, par le
témoignage des
Issédons, qu'il
est habité par
des hommes qui
n'ont qu'un oeil,
et par des
Gryphons qui
gardent l'or.
Les Scythes
l'ont appris des
Issédons, et
nous des
Scythes. Nous
les appelons
Arimaspes en
langue Scythe.
Arima signifie
un en cette
langue, et spou
oeil.
XXVIII. Dans
tout le pays
dont je viens de
parler, l'hiver
est si rude, et
le froid si
insupportable
pendant huit
mois entiers,
qu'en répandant
de l'eau sur la
terre on n'y
fait point de
boue, mais
seulement en y
allumant du feu.
La mer même se
glace dans cet
affreux climat,
ainsi que tout
le Bosphore
Cimmérien ; et
les Scythes de
la Chersonèse
passent en corps
d'armée sur
cette glace, et
y conduisent
leurs chariots
pour aller dans
le pays des
Sindes. L'hiver
continue de la
sorte huit mois
entiers ; les
quatre autres
mois, il fait
encore froid.
L'hiver, dans
ces contrées,
est bien
différent de
celui des autres
pays. Il y pleut
si peu en cette
saison, que ce
n'est pas la
peine d'en
parler, et l'été
il ne cesse d'y
pleuvoir. Il n'y
tonne point dans
le temps qu'il
tonne ailleurs ;
mais le tonnerre
est très
fréquent en été.
S'il s'y fait
entendre en
hiver, on le
regarde comme un
prodige. Il en
est de même des
tremblements de
terre. S'il en
arrive en
Scythie, soit en
été, soit en
hiver, c'est un
prodige qui
répand la
terreur. Les
chevaux y
soutiennent le
froid ; mais les
mulets et les
ânes ne le
peuvent
absolument,
quoique ailleurs
les chevaux
exposés à la
gelée
dépérissent, et
que les ânes et
les mulets y
résistent sans
peine.
XXIX. Je pense
que la rigueur
du climat
empêche les
boeufs d'y avoir
des cornes.
Homère rend
témoignage à mon
opinion dans
l'Odyssée,
lorsqu'il parle
en ces termes :
« Et la Libye,
où les cornes
viennent
promptement aux
agneaux. »
Cela me paraît
d'autant plus
juste que, dans
les pays chauds,
les cornes
poussent de
bonne heure aux
animaux, et que,
dans ceux où il
fait un froid
violent, ils
n'en ont point
du tout, ou, si
elles poussent,
ce n'est qu'avec
peine.
XXX. Dans ce
pays, le froid
en est la cause
; mais, pour le
dire en passant,
puisque je me
suis accoutumé,
dès le
commencement de
cette histoire,
à faire des
digressions, je
m'étonne que,
dans toute
l'Elide, il ne
s'engendre point
de mulets,
quoique le
climat n'y soit
pas froid, et
qu'on n'en
puisse alléguer
aucune autre
cause sensible.
Les Éléens
disent que, s'il
ne s'engendre
point de mulets
chez eux, c'est
l'effet de
quelque
malédiction.
Lorsque, le
temps s'approche
où les cavales
sont en chaleur,
les Éléens les
conduisent dans
les pays voisins,
où ils les font
saillir par des
ânes ;
lorsqu'elles
sont pleines,
ils les ramènent
chez eux.
XXXI. Quant aux
plumes dont les
Scythes disent
que l'air est
tellement rempli
qu'ils ne
peuvent ni voir
ce qui est au
delà, ni
pénétrer plus
avant, voici
l'opinion que
j'en ai. Il
neige toujours
dans les régions
situées au-dessus
de la Scythie,
mais
vraisemblablement
moins en été
qu'en hiver.
Quiconque a vu
de près la neige
tomber à gros
flocons comprend
facilement ce
que je dis. Elle
ressemble en
effet à des
plumes. Je pense
donc que cette
partie du
continent, qui
est au nord, est
inhabitable à
cause des grands
froids, et que,
lorsque les
Scythes et leurs
voisins parlent
de plumes, il ne
le font que par
comparaison avec
la neige. Voilà
ce qu'on dit sur
ces pays si
éloignés.
XXXII. Ni les
Scythes, ni
aucun autre
peuple de ces
régions
lointaines, ne
parlent pas des
Hyperboréens, si
ce n'est
peut-être les
Issédons ; et
ceux-ci même, à
ce que je pense,
n'en disent rien
: car les
Scythes, qui,
sur le rapport
des Issédons,
nous parlent des
peuples qui
n'ont qu'un oeil,
nous diraient
aussi quelque
chose des
Hyperboréens.
Cependant
Hésiode en fait
mention, et
Homère aussi
dans les
Épigones, en
supposant du
moins qu'il soit
l'auteur de ce
poème.
XXXIII. Les
Déliens en
parlent beaucoup
plus amplement.
Ils racontent
que les
offrandes des
Hyperboréens
leur venaient
enveloppées dans
de la paille de
froment. Elles
passaient chez
les Scythes :
transmises
ensuite de
peuple en peuple,
elles étaient
portées le plus
loin possible
vers l'occident,
jusqu'à la mer
Adriatique. De
là, on les
envoyait du côté
du midi. Les
Dodonéens
étaient les
premiers Grecs
qui les
recevaient.
Elles
descendaient de
Dodone jusqu'au
golfe Maliaque,
d'où elles
passaient en
Eubée, et, de
ville en ville,
jusqu'à Caryste.
De là, sans
toucher à
Andros, les
Carystiens les
portaient à
Ténos, et les
Téniens à Délos.
Si l'on en croit
les Déliens, ces
offrandes
parviennent de
cette manière
dans leur île.
Ils ajoutent que,
dans les
premiers temps,
les Hyperboréens
envoyèrent ces
offrandes par
deux vierges,
dont l'une,
suivant eux,
s'appelait
Hypéroché, et
l'autre Laodicé
; que, pour la
sûreté de ces
jeunes personnes,
les Hyperboréens
les firent
accompagner par
cinq de leurs
citoyens, qu'on
appelle
actuellement
Perphères, et à
qui l'on rend de
grands honneurs
à Délos ; mais
que, les
Hyperboréens ne
les voyant point
revenir, et
regardant comme
une chose très
fâcheuse leur
arrivait de ne
jamais revoir
leurs députés,
ils prirent le
parti de porter
sur leurs
frontières leurs
offrandes
enveloppées dans
de la paille de
froment ; ils
les remettaient
ensuite à leurs
voisins, les
priant
instamment de
les accompagner
jusqu'à une
autre nation.
Elles passent
ainsi, disent
les Déliens, de
peuple en peuple,
jusqu'à ce
qu'enfin elles
parviennent dans
leur île. J'ai
remarqué, parmi
les femmes de
Thrace et de
Paeonie, un
usage qui
approche
beaucoup de
celui
qu'observent les
Hyperboréens
relativement. à
leurs offrandes.
Elles ne
sacrifient
jamais à Diane
la royale sans
faire usage de
paille de
froment.
XXXIV. Les
jeunes Déliens
de l'un et de
l'autre sexe se
coupent les
cheveux en
l'honneur de ces
vierges
hyperboréennes
qui moururent à
Délos. Les
filles leur
rendent ce
devoir avant
leur mariage.
Elles prennent
une boucle de
leurs cheveux,
l'entortillent
autour d'un
fuseau, et ta
mettent sur le
monument de ces
vierges, qui est
dans le lieu
consacré à
Diane, à main
gauche en
entrant. On voit
sur ce tombeau
un olivier qui y
est venu de
lui-même. Les
jeunes Déliens
entortillent
leurs cheveux
autour d'une
certaine herbe,
et les mettent
aussi sur le
tombeau des
Hyperboréennes.
Tels sont les
honneurs que les
habitants de
Délos rendent à
ces vierges.
XXXV. Les
Déliens disent
aussi que, dans
le même siècle
où ces députés
vinrent à Délos
; deux autres
vierges
hyperboréennes,
dont une
s'appelait Argé,
et l'autre Opis,
y étaient déjà
venues avant
Hypéroché et
Laodicé.
Celles-ci
apportaient à
Ilithye ( Lucine)
le tribut
qu'elles étaient
chargées
d'offrir pour le
prompt et
heureux
accouchement des
femmes de leur
pays. Mais Argé
et Opis étaient
arrivées en la
compagnie des
dieux mêmes (Apollon
et Diane). Aussi
les Déliens leur
rendent-ils
d'autres
honneurs. Leurs
femmes quêtent
pour elles, et
célèbrent leurs
noms dans un
hymne qu'Olen de
Lycie a composé
en leur honneur.
Les Déliens
disent encore
qu'ils ont
appris aux
insulaires et
aux Ioniens à
célébrer et à
nommer dans
leurs hymnes
Opis et Argé, et
à faire la quête
pour elles.
C'est cet Olen
qui, étant venu
de Lycie à Délos,
a composé le
reste des
anciens hymnes
qui se chantent
en cette île.
Les mêmes
Déliens ajoutent
qu'après avoir
fait brûler sur
l'autel les
cuisses des
victimes, on en
répand la cendre
sur le tombeau
d'Opis et d'Argé,
et qu'on
l'emploie toute
à cet usage. Ce
tombeau est
derrière le
temple de Diane,
à l'est, et près
de la salle où
les Céiens font
leurs festins.
XXXVI. En voilà
assez sur les
Hyperboréens. Je
ne m'arrête pas
en effet à ce
qu'on conte
d'Abaris, qui
était, dit-on,
Hyperboréen, et,
qui, sans
manger, voyagea
par toute la
terre, porté sur
une flèche. Au
reste, s'il y a
des Hyperboréens,
il doit y avoir
aussi des
Hypornotiens.
Pour moi., je ne
puis m'empêcher
de rire quand je
vois quelques
gens, qui ont
donné des
descriptions de
la circonférence
de la terre,
prétendre, sans
se laisser
guider par la
raison, que la
terre est ronde
comme si elle
eût été
travaillée au
tour, que
l'Océan
l'environne de
toutes parts, et
que l'Asie est
égale à l'Europe.
Mais je vais
montrer en peu
de mots la
grandeur de
chacune de ces
deux parties du
monde, et en
décrire la
figure.
XXXVII. Le pays
occupé par les
Perses s'étend
jusqu'à la mer
Australe, qu'on
appelle mer
Érythrée. Au-dessus,
vers le nord,
habitent les
Mèdes ; du-dessus
des Mèdes, les
Sapires ; et,
par delà les
Sapires, les
Colchidiens, qui
sont contigus à
la mer du Nord
(le Pont-Euxin),
où se jette le
Phase. Ces
quatre nations.
s'étendent d'une
mer à l'autre.
XXXVIII. De là,
en allant vers
l'occident, on
rencontre deux
péninsules
opposées qui
aboutissent à la
mer. Je vais en
faire la
description :
l'une, du côté
du nord,
commence au
Phase, s'étend,
vers la mer le
long du Pont-Euxin,
et de
l'Hellespont
jusqu'au
promontoire de
Sigée dans la
Troade : du côté
du sud, cette
même péninsule
commence au
golfe
Myriandrique,
adjacent à la
Phénicie le long
de la mer
jusqu'au
promontoire
Triopium. Cette
péninsule est
habitée par
trente nations
différentes.
XXXIX. L'autre
péninsule
commence aux
Perses, et
s'étend jusqu'à
la mer Érythrée
et le long de
cette mer. Elle
comprend la
Perse, ensuite
l'Assyrie et
l'Arabie. Elle
aboutit, mais
seulement en
vertu d'une loi,
au golfe
Arabique, où
Darius fit
conduire un
canal qui vient
du Nil. De la
Perse à la
Phénicie, le
pays est grand
et vaste ;
depuis la
Phénicie, la
même péninsule
s'étend le long
de cette mer-ci
par la Syrie de
la Palestine et
l'Égypte, où
elle aboutit.
Elle ne renferme
que trois
nations. Tels
sont les pays de
l'Asie à
l'occident de la
Perse.
XL. Les pays à
l'est, au-dessus
des Perses, des
Mèdes, des
Sapires et des
Colchidiens,
sont bornés de
ce côté par la
mer Érythrée (le
golfe Persique),
et, du côté du
nord, par la mer
Caspienne et par
l'Araxe, qui
prend son cours
vers le soleil
levant. L'Asie
est habitée
jusqu'à l'Inde ;
mais, depuis ce
pays, on
rencontre, à
l'est, des
déserts que
personne ne
connaît, et dont
on ne peut rien
dire de certain.
Tels sont les
pays que
comprend l'Asie,
et telle est son
étendue.
XLI. La Libye
suit
immédiatement
l'Égypte, et
fait partie de
la seconde
péninsule,
laquelle est
étroite aux
environs de
l'Égypte. En
effet, depuis
cette mer-ci (la
Méditerranée)
jusqu'à la mer
Érythrée (la mer
Rouge), il n'y a
que cent mille
orgyies, qui
font mille
stades. Mais,
depuis cet
endroit étroit,
la péninsule
devient
spacieuse et
prend le nom de
Libye.
XLII. J'admire
d'autant plus
ceux qui ont
décrit la Libye,
l'Asie et
l'Europe, et qui
en ont déterminé
les bornes,
qu'il y a
beaucoup de
différence entre
ces trois
parties de la
terre : car
l'Europe
surpasse en
longueur les
deux autres;
mais il ne me
paraît pas
qu'elle puisse
leur être
comparée par
rapport à la
largeur. La
Libye montre
elle-même
qu'elle est
environnée de la
mer, excepté du
côté où elle
confine à l'Asie.
Nécos, roi
d'Égypte, est le
premier que nous
sachions qui
l'ait prouvé.
Lorsqu'il eut
fait cesser de
creuser le canal
qui devait
conduire les
eaux du Nil au
golfe Arabique,
il fit partir
des Phéniciens
sur des
vaisseaux, avec
ordre d'entrer,
à leur retour,
par les colonnes
d'Hercule, dans
la mer
Septentrionale,
et de revenir de
cette manière en
Égypte.
Les Phéniciens,
s'étant donc
embarqués sur la
mer Érythrée,
naviguèrent dans
la mer Australe.
Quand l'automne
était venu, ils
abordaient à
l'endroit de la
Libye où ils se
trouvaient, et
semaient du blé.
Ils attendaient
ensuite le temps
de la moisson,
et, après la
récolte, ils se
remettaient en
mer. Ayant ainsi
voyagé pendant
deux ans, la
troisième année
ils doublèrent
les colonnes
d'Hercule, et
revinrent en
Égypte. Ils
racontèrent, à
leur arrivée,
que, en faisant
voile autour de
la Libye, ils
avaient eu le
soleil à leur
droite. Ce fait
ne me paraît
nullement
croyable ; mais
peut-être le
paraîtra-t-il à
quelque autre.
C'est ainsi que
la Libye a été
connue pour la
première fois.
XLIII. Les
Carthaginois
racontent que,
depuis ce temps,
Sataspes, fils
deTéaspis, de la
race des
Achéménides,
avait reçu
l'ordre de faire
le tour de la
Libye, mais
qu'il ne
l'acheva pas.
Rebuté par la
longueur de la
navigation et
effrayé des
déserts qu'il
rencontra sur sa
route, il revint
sur ses pas sans
avoir terminé
les travaux que
sa mère lui
avait imposés.
Sataspes avait
fait violence à
une jeune
personne, fille
de Zopyre, fils
de Mégabyze.
Étant sur le
point d'être mis
en croix pour ce
crime par les
ordres de Xerxès,
sa mère, qui
était soeur de
Darius, demanda
sa grâce,
promettant de le
punir plus
rigoureusement
que le roi ne le
voulait, et
qu'elle le
forcerait à
faire le tour de
la Libye jusqu'à
ce qu'il parvînt
au golfe
Arabique. Xerxès
lui ayant
accordé sa grâce
à cette
condition,
Sataspes vint en
Égypte, y prit
un vaisseau et
des matelots du
pays, et,
s'étant embarqué,
il fit voile par
les colonnes
d'Hercule.
Lorsqu'il les
eut passées, il
doubla le
promontoire
Soloéis, et fit
route vers le
sud. Mais, après
avoir mis
plusieurs mois à
traverser une
vaste étendue de
mer, voyant
qu'il lui en
restait encore
une plus grande
à parcourir, il
retourna sur ses
pas, et regagna
l'Égypte. De là
il se rendit à
la cour de
Xerxès. Il y
raconta que, sur
les côtes de la
mer les plus
éloignées qu'il
eut parcourues,
il avait vu de
petits hommes,
vêtus d'habits
de palmier, qui
avaient
abandonné leurs
villes pour
s'enfuir dans
les montagnes
aussitôt qu'ils
l'avaient vu
aborder avec son
vaisseau ;
qu'étant entré
dans leurs
villes, il ne
leur avait fait
aucun tort, et
s'était contenté
d'en enlever du
bétail. Il
ajouta qu'il
n'avait point
achevé le tour
de la Libye,
parce que son
vaisseau avait
été arrêté et
n'avait pu
avancer. Xerxès,
persuadé qu'il
ne lui disait
pas la vérité,
fit exécuter la
première
sentence ; et il
fut mis en croix,
parce qu'il
n'avait pas
achevé les
travaux qu'on
lui avait
imposés. Un
eunuque de
Sataspes n'eut
pas plutôt
appris la mort
de son maître,
qu'il s'enfuit à
Samos avec de
grandes
richesses, dont
s'empara un
certain Samien.
Je sais son nom,
mais je veux
bien le passer
sous silence.
XLIV. La plus
grande partie de
l'Asie fut
découverte par
Darius. Ce
prince, voulant
savoir en quel
endroit de la
mer se jetait
l'Indus, qui,
après le Nil,
est le seul
fleuve dans
lequel on trouve
des crocodiles,
envoya, sur des
vaisseaux, des
hommes sûrs et
véridiques, et
entre autres
Scylax de
Caryande. Ils
s'embarquèrent à
Caspatyre, dans
la Pactyice,
descendirent le
fleuve à l'est
jusqu'à la mer :
de là, naviguant
vers l'occident,
ils arrivèrent
enfin, le
trentième mois
après leur
départ, au même
port où les
Phéniciens, dont
j'ai parlé
ci-dessus,
s'étaient
autrefois
embarqués par
l'ordre du roi
d'Égypte pour
faire le tour de
la Libye. Ce
périple achevé,
Darius subjugua
les Indiens, et
se servit de
cette mer. C'est
ainsi qu'on a
reconnu que
l'Asie, si l'on
en excepte la
partie orientale,
ressemble en
tout à la Libye.
XLΩ. Quant à
l'Europe, il ne
paraît pas que
personne
jusqu'ici ait
découvert si
elle est
environnée de la
mer à l'est et
au nord. Mais on
sait qu'en sa
longueur elle
surpasse les
deux autres
parties de la
terre. Je ne
puis conjecturer
pourquoi la
terre étant une,
on lui donne
trois différents
noms, qui sont
des noms de
femme, et
pourquoi on
donne à l'Asie
pour bornes le
Nil, fleuve
d'Égypte, et le
Phase, fleuve de
Colchide ; ou,
selon d'autres,
le Tanaïs, le
Palus-Maeotis,
et la ville de
Porthmies en
Cimmérie. Enfin
je n'ai pu
savoir comment
s'appelaient
ceux qui ont
ainsi divisé la
terre, ni d'où
ils ont pris les
noms qu'ils lui
ont donnés. La
plupart des
Grecs disent que
la Libye tire le
sien d'une femme
originaire du
pays même,
laquelle
s'appelait Libye,
et que l'Asie
prend le sien de
la femme de
Prométhée ; mais
les Lydiens
revendiquent ce
dernier nom, et
soutiennent
qu'il vient
d'Asias, fils de
Cotys et petit-fils
de Manès, dont
l'Asiade, tribu
de Sardes, a
aussi emprunté
le sien.
Quant à l'Europe,
personne ne sait
si elle est
environnée de la
mer. Il ne
paraît pas non
plus qu'on sache
ni d'où elle a
tiré ce nom, ni
qui le lui a
donné ; à moins
que nous ne
disions qu'elle
l'a pris
d'Europe de Tyr
: car auparavant,
ainsi que les
deux autres
parties du monde,
elle n'avait
point de nom. Il
est certain
qu'Europe était
Asiatique, et
qu'elle n'est
jamais venue
dans ce pays que
les Grecs
appellent
maintenant
Europe ; mais
qu'elle passa
seulement de
Phénicie en
Crète, et de
Crète en Lycie.
C'en est assez à
cet égard, et
nous nous en
tiendrons
là-dessus aux
opinions reçues.
XLVI. Le Pont-Euxin,
que Darius
attaqua, est de
tous les pays
celui qui
produit les
nations les plus
ignorantes. J'en
excepte
toutefois les
Scythes. Parmi
celles en effet
qui habitent en
deçà du Pont-Euxin,
nous ne pouvons
pas en citer une
seule qui ait
donné des
marques de
prudence et
d'habileté, ni
même qui ait
fourni un homme
instruit, si ce
n'est la nation
scythe, et
Anacharsis. Les
Scythes sont, de
tous les peuples
que nous
connaissions,
ceux qui ont
trouvé les
moyens les plus
sûrs pour se
conserver les
avantages les
plus précieux ;
mais je ne vois
chez eux rien
autre chose à
admirer. Ces
avantages
consistent à ne
point laisser
échapper ceux
qui viennent les
attaquer, et à
ne pouvoir être
joints quand ils
ne veulent point
l'être : car ils
n'ont ni villes
ni forteresses.
Ils traînent
avec eux leurs
maisons ; ils
sont habiles à
tirer de l'arc
étant à cheval.
Ils ne vivent
point des fruits
du labourage,
mais de bétail,
et n'ont point
d'autres maisons
que leurs
chariots.
Comment, de
pareils peuples
ne seraient-ils
pas invincibles,
et comment
serait-il aisé
de les joindre
pour les
combattre ?
XLVII. Ils ont
imaginé ce genre
de vie, tant
parce que la
Scythie y est
très propre, que
parce que leurs
rivières la
favorisent et
leur servent de
rempart. Leur
pays est un pays
de plaines,
abondant en
pâturages et
bien arrosé : il
n'est, en effet,
guère moins
coupé de
rivières que
l'Égypte l'est
de canaux. Je ne
parlerai que des
plus célèbres,
de celles sur
lesquelles on
peut naviguer en
remontant de la
mer. Tels sont
l'Ister, fleuve
qui a cinq
embouchures ;
ensuite le Tyras,
l'Hypanis, le
Borysthène, le
Panticapes,
l'Hypacyris, le
Gerrhus et le
Tallaïs. Je vais
en décrire le
cour.
XLVIII. L'Ister,
le plus grand de
tous les fleuves
que nous
connaissions,
est toujours
égal à lu-même,
soit en été,
soit en hiver.
On le rencontre
le premier en
Scythie à
l'occident des
autres, et il
est le plus
grand, parce
qu'il reçoit les
eaux de
plusieurs autres
rivières. Parmi
celles qui
contribuent à le
grossir, il y en
a cinq grandes
qui traversent
la Scythie :
celle que les
Scythes
appellent Porata,
et les Grecs
Pyretos, le
Tiarante,
l'Ararus, le
Naparis et
l'Ordessus. La
première de ces
rivières est
grande elle
coule à l'est,
et se mêle avec
l'Ister ; la
seconde, je veux
dire le Tiarante,
est plus petite,
et coule plus à
l'occident ; les
trois dernières,
l'Ararus, le
Naparis et
l'Ordessus, ont
leur cours entre
les deux autres,
et se jettent
aussi dans
l'Ister. Telles
sont les
rivières qui,
prenant leur
source en
Scythie, vont
grossir l'Ister.
XLIX. Le Maris
coule du pays
des Agathyrses,
et se jette dans
l'Ister. Des
sommets du mont
Hémus sortent
trois autres
grandes rivières,
l'Atlas, l'Auras
et le Tibisis ;
elles prennent
leur cours vers
le nord, et se
perdent dans le
même fleuve. Il
en vient aussi
trois autres par
la Thrace et le
pays des
Thraces-Crobyziens,
qui se rendent
dans l'Ister.
Ces fleuves sont
l'Athrys, le
Noès et
l'Artanès. Le
Gios vient de la
Paeonie et du
mont Rhodope ;
il sépare par le
milieu le mont
Hémus, et se
décharge dans le
même fleuve.
L'Angrus coule
de l'Illyrie
vers le nord,
traverse la
plaine
Triballique, se
jette dans le
Brongus, et
celui-ci dans
l'Ister; de
sorte que
l'Ister reçoit
tout à la fois
les eaux de deux
grandes rivières.
Le Carpis et
l'Alpis sortent
du pays au-dessus
des Ombriques,
coulent vers le
nord, et se
perdent dans le
même fleuve. On
ne doit pas au
reste s'étonner
que l'Ister
reçoive tant de
rivières,
puisqu'il
traverse toute
l'Europe. Il
prend sa source
dans le pays des
Celtes (ce sont
les derniers
peuples de
l'Europe du côté
de l'occident,
si l'on excepte
les Cynètes),
et, après avoir
traversé
l'Europe entière,
il entre dans la
Scythie par une
de ses
extrémités.
L. La réunion de
toutes les
rivières dont je
viens de parler
et de beaucoup
d'autres rend
l'Ister le plus
grand des
fleuves. Mais,
si on le compare
lui seul avec le
Nil, on donnera
la préférence au
fleuve d'Égypte,
parce que
celui-ci ne
reçoit ni
rivière ni
fontaine qui
serve à le
grossir. L'Ister,
comme je l'ai
déjà dit, est
toujours égal,
soit en été,
soit en hiver.
En voici, ce me
semble, la
raison. En
hiver, il n'est
pas plus grand
qu'à son
ordinaire, ou du
moins guère plus
qu'il doit
l'être
naturellement,
parce qu'en
cette saison il
pleut très peu
dans les pays où
il passe, et que
toute la terre y
est couverte de
neige. Cette
neige, qui est
tombée en
abondance
pendant l'hiver,
venant à se
fondre en été,
se jette clans
l'Ister. La
fonte des neiges,
et les pluies
fréquentes et
abondantes qui
arrivent en
cette saison,
contribuent à le
grossir. Si donc,
en été, le
soleil attire à
lui plus d'eau
qu'en hivers
celles qui se
rendent dans ce
fleuve sont
aussi, à
proportion, plus
abondantes en
été qu'en hiver.
Il résulte de
cette opposition
une compensation
qui fait
paraître ce
fleuve toujours
égal.
LI. L’Ister est
donc un des
fleuves qui
coulent en
Scythie. On
rencontre
ensuite le Tyras
; il vient du
nord, et sort
d'un grand lac
qui sépare la
Scythie de la
Neuride. Les
Grecs qu'on
appelle Tyrites
habitent vers
son embouchure.
LII. L'Hypanis
est le troisième
: vient de la
Scythie, et
coule d'un grand
lac autour
duquel paissent
des chevaux
blancs sauvages.
Le lac s'appelle
avec raison la
Mère de
l'Hypanis. Cette
rivière, qui
prend sa source
dans ce lac, est
petite, et son
eau est douce
pendant l'espace
de cinq journées
de navigation ;
mais ensuite, et
à quatre
journées de la
mer, elle
devient très
amère. Cette
amertume
provient d'une
fontaine qu'elle
reçoit, et qui
est si amère,
que, quoique
fort petite,
elle ne laisse
pas de gâter
toutes les eaux
de cette rivière,
qui est grande
entre les
petites. Cette
fontaine est sur
les frontières
du pays des
Scythes
laboureurs et
des Alazons, et
porte le même
nom que l'en
droit d'où elle
sort. On
l'appelle en
langue scythe
Exampée, qui
signifie en grec
Voies sacrées.
Le Tyras et
l'Hypanis
s'approchent
l'un de l'autre
dans le pays des
Alazons ; mais
bientôt après
ils s'éloignent,
et laissent
entre eux un
grand intervalle.
LIII. Le
Borysthène est
le quatrième
fleuve, et le
plus grand de ce
pays après
l'Ister. C'est
aussi, à mon
avis, le plus
fécond de tous
les fleuves, non
seulement de la
Scythie, mais
du monde, si
l'on excepte le
Nil, avec lequel
il n'y en a pas
un qui puisse
entrer en
comparaison. Il
fournit au
bétail de beaux
et d'excellents
pâturages. On y
pêche
abondamment
toutes sortes de
bons poissons.
Son eau est très
agréable à boire,
et elle est
toujours glaire
et limpide,
quoique les
fleuves voisins
soient limoneux.
On recueille sur
ses bords
d'excellentes
moissons ; et,
dans les
endroits où l'on
ne sème point,
l'herbe y vient
fort haute et en
abondance. Le
sel se
cristallise de
lui-même à son
embouchure et en
grande quantité.
Il produit de
gros poissons
sans arêtes,
qu'on sale ; on
les appelle
antacées. On y
trouve aussi
beaucoup
d'autres choses
dignes
d'admiration.
Jusqu'au pays
appelé Gerrhus,
il y a quarante
journées de
navigation, et
l'on sait que ce
fleuve vient du
nord. Maison ne
connaît ni les
pays qu'il
traverse plus
haut, ni les
nations qui
l'habitent. Il y
a néanmoins
beaucoup
d'apparence
qu'il coule à
travers un pays
désert, pour
venir sur les
terres des
Scythes
cultivateurs.
Ces Scythes
habitent sur ses
bords pendant
l'espace de dix
journées de
navigation. Ce
fleuve et le Nil
sont les seuls
dont je ne puis
indiquer les
sources, et je
ne crois pas
qu'aucun Grec en
sache davantage.
Quand le
Borysthène est
près de la mer,
l'Hypanis mêle
avec lui ses
eaux en se
jetant dans le
même marais. La
langue de terre
qui est entre
ces deux fleuves
s'appelle le
promontoire
d'Hippolaüs. On
y a bâti un
temple à Cérès.
Au delà de ce
temple, vers le
bord de
l'Hypanis,
habitent les
Borysthénites.
Mais en voilà
assez sur ces
fleuves.
LIV. On
rencontre
ensuite le
Panticapes, et
c'est la
cinquième
rivière. Elle
vient aussi du
nord, sort d'un
lac, entre dans
l'Hylée, et,
après l'avoir
traversée, elle
mêle ses eaux
avec celles du
Borysthène. Les
Scythes
cultivateurs
habitent entre
ces deux
rivières.
LV. La sixième
est l'Hypacyris
; elle sort d'un
lac, traverse
par le milieu
les terres des
Scythes nomades,
et se jette dans
la mer près de
la ville de
Carcinitis,
enfermant à
droite le pays
d'Hylée, et ce
qu'on appelle la
Course d'Achille.
LVI. Le septième
fleuve est le
Gerrhus ; il se
sépare du
Borysthène vers
l'endroit où ce
fleuve commence
à être connu,
depuis le
Gerrhus, pays
qui lui donne
son nom. En
coulant vers la
mer, il sépare
les Scythes
nomades des
Scythes royaux,
et se jette dans
l'Hypacyris.
LVII, Le
huitième, enfin,
est le Tanaïs ;
il vient d'un
pays fort
éloigné, et sort
d'un grand lac,
d'où il se jette
dans un autre
encore plus
grand, qu'on
appelle Maeotis,
qui sépare les
Scythes royaux
des Sauromates.
L'Hyrgis se
décharge dans le
Tanaïs.
LVIII. Tels sont
les fleuves
célèbres dont la
Scythie a
l'avantage
d'être arrosée.
L'herbe que
produit ce pays
est la meilleure
pour le bétail,
et la plus
succulente que
nous
connaissions,
comme on peut le
remarquer en
ouvrant les
bestiaux qui
s'en sont
nourris. Les
Scythes ont donc
en abondance les
choses les plus
nécessaires à la
vie.
LIX. Quant à
leurs autres
lois et coutumes,
les voici telles
qu'elles sont
établies chez
eux. Ils
cherchent h se
rendre propices
principalement
Vesta, ensuite
Jupiter, et la
Terre, qu'ils
croient femme de
Jupiter ; et,
après ces trois
divinités,
Apollon,
Vénus-Uranie,
Hercule, Mars.
Tous les Scythes
reconnaissent
ces divinités ;
mais les Scythes
royaux
sacrifient aussi
à Neptune. En
langue scythe,
Vesta s'appelle
Tahiti ;
Jupiter, Papaeus,
nom qui, à mon
avis, lui
convient
parfaitement; la
Terre, Apia ;
Apollon,
Oetosyros ;
Vénus-Uranie,
Artimpasa ;
Neptune,
Thamimasadas.
Ils élèvent des
statues, des
autels et des
temples à Mars,
et n'en élèvent
qu'à lui seul.
LX. Les Scythes
sacrifient de la
même manière
dans tous leurs
lieux sacrés.
Ces sacrifices
se font ainsi :
la victime est
debout, les deux
pieds de devant
attachés avec
une corde. Celui
qui doit
l'immoler se
tient derrière,
tire à lui le
bout de la corde,
et la fait
tomber. Tandis
qu'elle tombe,
il invoque le
dieu auquel il
va la sacrifier.
Il lui met
ensuite une
corde au cou, et
serre la corde
avec un bâton
qu'il tourne.
C'est ainsi
qu'il l'étrangle,
sans allumer de
feu, sans faire
de libations, et
sans aucune
autre cérémonie
préparatoire. La
victime
étranglée, le
sacrificateur la
dépouille, et se
dispose à la
faire cuire.
LXI. Comme il
n'y a point du
tout de bois en
Scythie, voici
comment ils ont
imaginé de faire
cuire la victime.
Quand ils l'ont
dépouillée, ils
enlèvent toute
la chair qui est
sur les os, et
la mettent dans
des chaudières,
s'il se trouve
qu'ils en aient.
Les chaudières
de ce pays
ressemblent
beaucoup aux
cratères de
Lesbos, excepté
qu'elles sont
beaucoup plus
grandes. On
allume dessous
du feu avec les
os de la victime.
Mais, s'ils
n'ont point de
chaudières, ils
mettent toutes
les chairs avec
de l'eau dans le
ventre de
l'animal, et
allument les os
dessous. Ces os
font un très bon
feu, et le
ventre tient
aisément les
chairs désossées.
Ainsi le boeuf
se fait cuire
lui-même, et,
les autres
victimes se font
cuire aussi
chacune
elle-même. Quand
le tout est cuit,
le sacrificateur
offre les
prémices de la
chair et des
entrailles, en
les jetant
devant lui. Ils
immolent aussi
d'autres animaux,
et
principalement
des chevaux.
LXII. Telles
sont les espèces
d'animaux que
les Scythes
sacrifient à ces
dieux, et tels
sont leurs
rites. Mais
voici ceux
qu'ils observent
à l'égard du
dieu Mars : dans
chaque nome on
lui élève un
temple de la
manière suivante,
dans un champ
destiné aux
assemblées de la
nation. On
entasse des
fagots de menu
bois, et on en
fait une pile de
trois stades en
longueur et en
largeur, et
moins en
hauteur. Sur
cette pile, on
pratique une
espèce de plate-forme
carrée, dont
trois côtés sont,
inaccessibles ;
le quatrième va
en pente, de
manière qu'on
puisse y monter.
On y entasse
tous les ans
cent cinquante
charretées de
menu bois pour
relever cette
pile, qui
s'affaisse par
les injures des
saisons. Au haut
de cette pile,
chaque nation
scythe plante un
vieux cimeterre
de fer, qui leur
tient lieu de
simulacre de
Mars. Ils
offrent tous les
ans à ce
cimeterre des
sacrifices de
chevaux et
d'autres animaux,
et lui immolent
plus de victimes
qu'au reste des
dieux. Ils lui
sacrifient aussi
le centième de
tous les
prisonniers
qu'ils font sur
leurs ennemis,
mais non de la
même manière que
les animaux ; la
cérémonie en est
bien différente.
Ils font d'abord
des libations
avec du vin sur
la tête de ces
victimes
humaines, les
égorgent ensuite
sur un vase,
portent ce vase
au haut de la
pile, et en
répandent le
sang sur le
cimeterre.
Pendant qu'on
porte ce sang au
haut de la pile,
ceux qui sont au
bas coupent le
bras droit avec
l'épaule à tous
ceux qu'ils ont
immolés, et les
jettent en l'air.
Après avoir
achevé le
sacrifice de
toutes les
autres victimes,
ils se retirent
; le bras reste
où il tombe, et
le corps demeure
étendu dans un
autre endroit.
LXIII. Tels sont
les sacrifices
établis parmi
ces peuples;
mais ils
n'immolent
jamais de
pourceaux, et ne
veulent pas même
en nourrir dans
leur pays.
LXIV. Quant à la
guerre, voici
les usages
qu'ils observent.
Un Scythe boit
du sang du
premier homme
qu'il renverse,
coupe la tête à
tous ceux qu'il
tue dans les
combats, et la
porte au roi.
Quand il lui a
présenté la tête
d'un ennemi, il
a part à tout le
butin; sans cela,
il en sera privé.
Pour écorcher
une tête, le
Scythe fait
d'abord une
incision à
l'entour, vers
les oreilles,
et, la prenant
par le haut, il
en arrache la
peau en la
secouant. Il
pétrit ensuite
cette peau entre
ses mains, après
en avoir enlevé
toute la chair
avec une côte de
boeuf ; et,
quand il l'a
bien amollie, il
s'en sert comme
d'une serviette.
Il la suspend à
la bride du
cheval qu'il
monte, et s'en
fait honneur :
car plus un
Scythe peut
avoir de ces
sortes de
serviettes, plus
il est estimé
vaillant et
courageux. Il
s'en trouve
beaucoup qui
cousent ensemble
des peaux
humaines, comme
des capes de
berger, et qui
s'en font des
vêtements.
Plusieurs aussi
écorchent,
jusqu'aux ongles
inclusivement,
la main droite
des ennemis
qu'ils ont tués,
et en font des
couvercles à
leurs carquois.
La peau d'homme
est en effet
épaisse ; et de
toutes les peaux,
c'est presque la
plus brillante
par sa blancheur.
D'autres enfin
écorchent des
hommes depuis
les pieds
jusqu'à la tête,
et lorsqu'ils
ont étendu leurs
peaux sur des
morceaux de
bois, ils les
portent sur
leurs chevaux.
Telles sont les
coutumes reçues
parmi ces
peuples.
LXV. Les Scythes
n'emploient pas
à l'usage que je
vais dire toutes
sortes de têtes
indifféremment,
mais celles de
leurs plus
grands ennemis.
Ils scient le
crâne au-dessous
des sourcils, et
le nettoient.
Les pauvres se
contentent de le
revêtir par
dehors d'un
morceau de cuir
de boeuf, sans
apprêt : les
riches non
seulement le
couvrent d'un
morceau de peau
de boeuf, mais
ils le dorent
aussi en dedans,
et s'en servent,
tant les pauvres
que les riches,
comme d'une
coupe à boire.
Ils font la même
chose des têtes
de leurs proches,
si, après avoir
eu quelque
querelle
ensemble, ils
ont remporté sur
eux la victoire
en présence du
roi. S'il vient
chez eux quelque
étranger dont
ils fassent cas,
ils lui
présentent ces
têtes, lui
content comment
ceux à qui elles
appartenaient
les ont attaqués,
quoiqu'ils
fussent leurs
parents, et
comment ils les
ont vaincus. Ils
en tirent vanité,
et appellent
cela des actions
de valeur.
LXVI. Chaque
gouverneur donne
tous les ans un
festin dans son
nome, où l'on
sert du vin mêlé
avec de l'eau
dans un cratère.
Tous ceux qui
ont tué des
ennemis boivent
de ce vin : ceux
qui n'ont rien
fait de
semblable n'en
goûtent point ;
ils sont
honteusement
assis à part, et
c'est pour eux
une grande
ignominie. Tous
ceux qui ont tué
un grand nombre
d'ennemis
boivent, en même
temps, dans deux
coupes jointes
ensemble.
LXVII. Les
devins sont en
grand nombre
parmi les
Scythes, et se
servent de
baguettes de
saule pour
exercer la
divination. Ils
apportent des
faisceaux de
baguettes, les
posent à terre,
les délient, et,
lorsqu'ils ont
mis à part
chaque baguette,
ils prédisent
l'avenir.
Pendant qu'ils
font ces
prédictions, ils
reprennent les
baguettes l'une
après l'autre,
et les remettent
ensemble. Ils
ont appris de
leurs ancêtres
cette sorte de
divination. Les
Énarées, qui
sont des hommes
efféminés,
disent qu'ils
tiennent ce don
de Vénus. Ils se
servent, pour
exercer leur
art, d'écorce de
tilleul : ils
fendent en trois
cette écorce,
l'entortillent
autour de leurs
doigts, puis ils
la défont, et
annoncent
ensuite l'avenir.
LXVIII. Si le
roi des Scythes
tombe malade, il
envoie chercher
trois des plus
célèbres d'entre
ces devins, qui
exercent leur
art de la
manière que nous
avons dit. Ils
lui répondent
ordinairement
que tel et tel,
dont ils disent
en même temps
les noms, ont
fait un faux
serment en
jurant par les
Lares du palais.
Les Scythes en
effet jurent
assez
ordinairement
par les Lares du
palais, quand
ils veulent
faire le plus
grand de tous
les serments.
Aussitôt on
saisit l'accusé,
l'un d'un côté,
l'autre de
l'autre ; quand
on l'a amené,
ils lui
déclarent que,
par l'art de la
divination, ils
sont sûrs qu'il
a fait un faux
serment en
jurant par les
Lares du palais,
et qu'ainsi il
est la cause de
la maladie du
roi. Si l'accusé
nie le crime et
s'indigne qu'on
ait pu le lui
imputer, le roi
fait venir le
double d'autres
devins. Si
ceux-ci le
convainquent
aussi de parjure
par les règles
de la
divination, on
lui tranche sur-le-champ
la tête, et ses
biens sont
confisqués au
profit des
premiers devins.
Si les devins
que le roi a
mandés en second
lieu le
déclarent
innocent, on en
fait venir
d'autres, et
puis d'autres
encore ; et,
s'il est
déchargé de
l'accusation par
le plus grand
nombre, la
sentence qui
l'absout est
l'arrêt de mort
des premiers
devins.
LXIX. Voici
comment on les
fait mourir : on
remplit de menu
bois un chariot,
auquel on
attelle des
boeufs, on place
les devins au
milieu de ces
fagots, les
pieds attachés,
les mains liées
derrière le dos,
et un bâillon à
la bouche. On
met ensuite le
feu aux fagots,
et l'on chasse
les boeufs en
les épouvantant.
Plusieurs de ces
animaux sont
brûlés avec les
devins; d'autres
se sauvent à
demi brûlés,
lorsque la
flamme a consumé
le timon. C'est
ainsi qu'on
brûle les devins,
non seulement
pour ce crime,
mais encore pour
d'autres causes;
et on les
appelle faux
devins.
LXX. Le roi fait
mourir les
enfants mâles de
ceux qu'il punit
de mort ; mais
il épargne les
filles. Lorsque
les Scythes font
un traité avec
quelqu'un, quel
qu'il puisse
être, ils
versent du vin
dans une grande
coupe de terre,
et les
contractants y
versent de leur
sang en se
faisant de
légères
incisions au
corps avec un
couteau ou une
épée; après quoi
ils trempent
dans cette coupe
un cimeterre,
des flèches, une
hache et un
javelot. Ces
cérémonies
achevées, ils
prononcent une
longue formule
de prières, et
boivent ensuite
une partie de ce
qui est dans la
coupe, et, après
eux, les
personnes les
plus distinguées
de leur suite.
LXXI. Les
tombeaux de
leurs rois sont
dans le pays des
Gerrhes, où le
Borysthène
commence à être
navigable. Quand
le roi vient à
mourir, ils font
en cet endroit
une grande fosse
carrée. Cette
fosse achevée,
ils enduisent le
corps de cire,
lui fendent le
ventre, et,
après ravoir
nettoyé et
rempli de
souchet broyé,
de parfums, de
graine d'ache et
d'anis, ils le
recousent. On
porte ensuite le
corps sur un
char dans une
autre province,
dont les
habitants se
coupent, comme
les Scythes
royaux, un peu
de l'oreille, se
rasent les
cheveux autour
de la tête, se
font des
incisions aux
bras, se
déchirent le
front et le nez,
et se passent
des flèches à
travers la main
gauche. De là on
porte le corps
du roi sur un
char dans une
autre province
de ses États, et
les habitants de
celle où il a
été porté
d'abord suivent
le convoi. Quand
on lui a fait
parcourir toutes
les provinces et
toutes les
nations soumises
à son obéissance,
il arrive dans
le pays des
Gerrhes, à
l'extrémité de
la Scythie, et
on le place dans
le lieu de sa
sépulture, sur
un lit de
verdure et de
feuilles
entassées. On
plante ensuite
autour du corps
des piques, et.
on pose par-dessus
des pièces de
bois, qu'on
couvre de
branches de
saule. On met
clans l'espace
vide de cette
fosse une des
concubines du
roi, qu'on a
étranglée
auparavant, son
échanson, son
cuisinier, son
écuyer, son
ministre, un de
ses serviteurs,
des chevaux ; en
un mot, les
prémices du
reste de toutes
les choses à son
usage, et des
coupes d'or :
ils ne
connaissent en
effet ni
l'argent ni le
cuivre. Cela
fait, ils
remplissent la
fosse de terre,
et travaillent
tous, à l'envi
l'un de l'autre,
à élever sur le
lieu de sa
sépulture un
tertre très
haut.
LXXII. L'année
révolue, ils
prennent, parmi
le reste des
serviteurs du
roi, ceux qui
lui étaient les
plus utiles. Ces
serviteurs sont
tous Scythes de
nation, le roi
n'ayant point
d'esclaves
achetés à prix
d'argent, et se
faisant servir
par ceux de ses
sujets à qui il
l'ordonne. Ils
étranglent une
cinquantaine de
ces serviteurs,
avec un pareil
nombre de ses
plus beaux
chevaux. Ils
leur ôtent les
entrailles, leur
nettoient le
ventre, et,
après l'avoir
rempli de paille,
ils le recousent.
Ils posent sur
deux pièces de
bois un
demi-cercle
renversé, puis
un autre
demi-cercle sur
deux autres
pièces de bois,
et plusieurs
autres ainsi de
suite, qu'ils
attachent de la
même manière.
Ils élèvent
ensuite sur ces
demi-cercles les
chevaux, après
leur avoir fait
passer des pieux
dans toute leur
longueur
jusqu'au cou :
les premiers
demi-cercles
soutiennent les
épaules des
chevaux, et les
autres les
flancs et la
croupe ; de
sorte que les
jambes n'étant
point appuyées
restent
suspendues. Ils
leur mettent
ensuite un mors
et une bride,
tirent la bride
en avant, et
l'attachent à un
pieu. Cela fait,
ils prennent les
cinquante jeunes
gens qu'ils ont
étranglés, les
placent chacun
sur un cheval,
après leur avoir
fait passer, le
long de l'épine
du dos jusqu'au
cou, une perche
dont l'extrémité
inférieure
s'emboîte dans
le pieu qui
traverse le
cheval. Enfin,
lorsqu'ils ont
arrangé ces
cinquante
cavaliers autour
du tombeau, ils
se retirent.
LXXIII. Telles
sont les
cérémonies
qu'ils observent
aux obsèques de
leurs rois.
Quant au reste
des Scythes,
lorsqu'il meurt
quelqu'un
d'entre eux, ses
plus proches
parents le
mettent sur un
chariot, et le
conduisent de
maison en maison
chez leurs amis
: ces amis le
reçoivent, et
préparent chacun
un festin à ceux
qui accompagnent
le corps, et
l'ont
pareillement
servir au mort
de tous les mets
qu'ils
présentent aux
autres. On
transporte ainsi,
de côté et
d'autre, les
corps des
particuliers
pendant quarante
jours ; ensuite
on les enterre.
Lorsque les
Scythes ont
donné la
sépulture à un
mort, ils se
purifient de la
manière suivante.
Après s'être
frotté la tête
avec quelque
chose de
détersif, et se
l'être lavée,
ils observent à
l'égard du reste
du corps ce que
je vais dire.
Ils inclinent
trois perches
l'une vers
l'autre, et sur
ces perches ils
étendent des
étoffes de laine
foulée, qu'ils
bandent et
ferment le plus
qu'ils peuvent.
Ils placent
ensuite au
milieu de ces
perches et de
ces étoffes un
vase dans lequel
ils mettent des
pierres rougies
au feu.
LXXIV. Il croît
en Scythie du
chanvre ; il
ressemble fort
au lin, excepté
qu'il est plus
gros et plus
grand. Il lui
est en cela de
beaucoup
supérieur. Cette
plante vient
d'elle-même et
de graine. Les
Thraces s'en
font des
vêtements qui
ressemblent
tellement à ceux
de lin, qu'il
faut être
connaisseur pour
les distinguer,
et quelqu'un qui
n'en aurait
jamais vu de
chanvre les
prendrait pour
des étoffes de
lin.
LXXV. Les
Scythes prennent
de la graine de
chanvre, et,
s'étant glissés
sous ces tentes
de laine foulée,
ils mettent de
cette graine sur
des pierres
rougies au feu.
Lorsqu'elle
commence à
brûler, elle
répand une si
grande vapeur,
qu'il n'y a
point en Grèce
d'étuve qui ait
plus de force.
Les Scythes,
étourdis par
cette vapeur,
jettent des cris
confus. Elle
leur tient lieu
de bain ; car
jamais ils ne se
baignent. Quant
à leurs femmes,
elles broient
sur une pierre
raboteuse du
bois de cyprès,
de cèdre, et de
l'arbre qui
porte l'encens ;
et, lorsque le
tout est bien
broyé, elles y
mêlent un peu
d'eau, et en
font une pâte
dont elles se
frottent tout le
corps et le
visage. Cette
pâte leur donne
une odeur
agréable ; et le
lendemain, quand
elles l'ont
enlevée, elles
sont propres, et
leur beauté en a
plus d'éclat.
LXXVI. Les
Scythes ont un
prodigieux
éloignement pour
les coutumes
étrangères : les
habitants d'une
province ne
veulent pas même
suivre celles
d'une province
voisine. Mais il
n'en est point
dont ils aient
plus
d'éloignement
que de celles
des Grecs.
Anacharsis, et
Scylès après lui,
en sont une
preuve
convaincante.
Anacharsis,
ayant parcouru
beaucoup de
pays, et montré
partout une
grande sagesse,
s'embarqua sur
l'Hellespont
pour retourner
dans sa patrie.
Étant abordé à
Cyzique dans le
temps que les
Cyzicéniens
étaient occupés
à célébrer avec
beaucoup de
solennité la
fête de la Mère
des dieux, il
fit voeu, s'il
retournait sain
et sauf dans sa
patrie, d'offrir
à cette déesse
des sacrifices
avec les mêmes
rites et
cérémonies qu'il
avait vu
pratiquer par
les Cyzicéniens,
et d'instituer,
en son honneur,
la veillée de la
fête. Lorsqu'il
fut arrivé dans
l'Hylée, contrée
de la Scythie
entièrement
couverte
d'arbres de
toute espèce et
située près de
la Course
d'Achille, il
célébra la fête
en l'honneur de
la déesse, ayant
de petites
statues
attachées sur
lui, et tenant à
la main un
tambourin. Il
fut aperçu en
cet état par un
Scythe, qui alla
le dénoncer au
roi Saulius. Le
roi, s'étant
lui-même
transporté sur
les lieux, n'eut
pas plutôt vu
Anacharsis
occupé à la
célébration de
cette fête,
qu'il le tua
d'un coup de
flèche ; et même
encore
aujourd'hui, si
l'on parle
d'Anacharsis aux
Scythes, ils
font semblant de
ne le point
connaître, parce
qu'il avait
voyagé en Grèce,
et qu'il
observait des
usages étrangers.
J'ai ouï dire à
Timnès, tuteur
d'Ariapithès,
qu'Anacharsis
était oncle
paternel
d'Idanthyrse,
roi des Scythes
; qu'il était
fils de Gnurus,
petit-fils de
Lycus, et
arrière-petit-fils
de Spargapithès.
Si donc
Anacharsis était
de cette maison,
il est certain
qu'il fut tué
par son propre
frère.
Idanthyrse était
en effet fils de
Saulius, et ce
fut Saulius qui
tua Anacharsis.
LXXVII.
Cependant j'en
ai entendu
parler autrement
à des
Péloponnésiens.
Ils disent
qu'Anacharsis,
ayant été envoyé
par le roi des
Scythes dans les
pays étrangers,
devint disciple
des Grecs ;
qu'étant de
retour dans sa
patrie, il dit
au prince qui
l'avait envoyé
que tous les
peuples de la
Grèce
s'appliquaient
aux sciences et
aux arts,
excepté les
Lacédémoniens ;
mais que ceux-ci
seuls
s'étudiaient à
parler et à
répondre avec
prudence et
modération :
mais cette
histoire est une
pure invention
des Grecs.
Anacharsis fut
donc tué, comme
on vient de le
dire, et il
éprouva ce
malheur pour
avoir pratiqué
des coutumes
étrangères, et
avoir eu
commerce avec
les Grecs.
LXXVIII. Bien
des années
après, Scylès,
fils
d'Ariapithès,
roi des Scythes,
eut le même
sort. Ariapithès
avait plusieurs
enfants ; mais
il avait eu
Scylès d'une
femme étrangère,
de la ville
d'Istrie, qui
lui apprit la
langue et les
lettres grecques.
Quelque temps
après,
Ariapithès fut
tué en trahison
par Spargapithès,
roi des
Agathyrses.
Scylès, étant
monté sur le
trône, épousa
Opaea, Scythe de
nation, femme de
son père, et
dont le feu roi
avait eu un fils,
nommé Oricus.
Quoique Scylès
fût roi des
Scythes, les
coutumes de la
Scythie ne lui
plaisaient
nullement ; et
il se sentait
d'autant plus de
goût pour celles
des Grecs, qu'il
y avait été
instruit dès sa
plus tendre
enfance. Voici
quelle était sa
conduite :
toutes les fois
qu'il menait
l'armée scythe
vers la ville
des
Borysthénites,
dont les
habitants se
disent
originaires de
Milet, il la
laissait devant
la ville, et,
dès qu'il y
était entré, il
en faisait
fermer les
portes. Il
quittait alors
l'habit scythe,
en prenait un à
la grecque, et,
vêtu de la sorte,
il se promenait
sur la place
publique, sans
être accompagné
de gardes, ni
même de toute
autre personne.
Pendant ce
temps-là on
faisait
sentinelle aux
portes, de peur
que quelque
Scythe ne
l'aperçût avec
cet habit. Outre
plusieurs autres
usages des Grecs,
auxquels il se
conformait, il
observait aussi
leurs cérémonies
dans les
sacrifices qu'il
offrait aux
dieux. Après
avoir demeuré
dans cette ville
un mois ou même
davantage, il
reprenait
l'habit scythe,
et allait
rejoindre son
armée. Il
pratiquait
souvent la même
chose. Il se fit
aussi bâtir un
palais à
Borysthène, et y
épousa unie
femme du pays.
LXXIX. Les
destins ayant
résolu sa perte,
voici ce qui
l'occasionna :
Scylès désira de
se faire initier
aux mystères de
Bacchus. Comme
on commençait la
cérémonie, et
qu'on allait lui
mettre entre les
mains les choses
sacrées, il
arriva un très
grand prodige.
Il avait à
Borysthène un
palais, dont
j'ai fait
mention un peu
auparavant.
C'était un
édifice superbe
et d'une vaste
étendue, autour
duquel on voyait
des sphinx et
des griffons de
marbre blanc. Le
dieu le frappa
de ses traits,
et il fut
entièrement
réduit en
cendres. Scylès
n'en continua
pas moins la
cérémonie qu'il
avait commencée.
Les Scythes
reprochent aux
Grecs leurs
bacchanales, et
pensent qu'il
est contraire à
la raison
d'imaginer un
dieu qui pousse
les hommes à des
extravagances.
Lorsque Scylès
eut été initié
aux mystères de
Bacchus, un
habitant de
Borysthène se
rendit
secrètement à
l'armée des
Scythes : « Vous
vous moquez de
nous, leur
dit-il, parce
qu'en célébrant
les bacchanales,
le dieu se rend
maître de nous.
Ce dieu s'est
aussi emparé de
votre roi ;
Scylès célèbre
Bacchus, et le
dieu l'agite et
trouble sa
raison. Si vous
ne voulez pas
m'en croire,
suivez-moi, et
je vous le
montrerai. » Les
premiers de la
nation le
suivirent. Le
Borysthénite les
plaça
secrètement dans
une tour, d'où
ils virent
passer Scylès
avec sa troupe,
célébrant les
bacchanales. Les
Scythes,
regardant cette
conduite comme
quelque chose de
très affligeant
pour leur
nation, tirent,
en présence de
toute l'armée,
le rapport de ce
qu'ils venaient
de voir.
LXXX. Scylès
étant parti
après cela pour
retourner chez
lui, ses sujets
se révoltèrent,
et proclamèrent
en sa place
Octamasades, son
frère, fils de
la fille de
Térès. Ce
prince, ayant
appris cette
révolte, et quel
en était le
motif, se
réfugia en
Thrace. Sur
cette nouvelle,
Octamasades, à
la tête d'une
armée, le
poursuivit dans
sa retraite.
Quand il fut
arrivé sur les
bords de !'Ister,
les Thraces
vinrent à sa
rencontre. Mais
comme on était
sur le point de
donner bataille,
Sitalcès envoya
un héraut à
Octamasades,
avec ordre de
lui dire : «Qu'est-il
besoin de tenter,
l'un et l'autre,
le hasard d'un
combat ? Vous
êtes fils de ma
soeur, et vous
avez mon frère
en votre
puissance : si
vous me le
rendez, je vous
livrerai Scylès,
et nous ne nous
exposerons point
au sort d'une
bataille.» Le
frère de
Sitalcès s'était
en effet réfugié
auprès
d'Octamasades.
Ce prince
accepta l'offre,
remit son oncle
maternel entre
les mains de
Sitalcès, et
reçut en échange
son frère Scylès.
Sitalcès n'eut
pas plutôt son
frère en son
pouvoir, qu'il
se retira avec
ses troupes ; et
dès qu'on eut
rendu Scylès,
Octamasades lui
fit trancher la
tête sur la
place même.
Telle est la
scrupuleuse
exactitude des
Scythes dans
l'observation de
leurs lois et de
leurs coutumes,
et la rigueur
avec laquelle
ils punissent
ceux qui en
affectent
d'étrangères.
LXXXI. Quant à
la population de
la Scythie, on
m'en a parlé
diversement, et
je n'en ai
jamais rien pu
apprendre de
certain : les
uns m'ont dit
que ce pays
était très
peuplé, et les
autres, qu'à ne
compter que les
véritables
Scythes, il
l'était peu.
Mais voici ce
que j'ai vu par
moi-même.
Entre le
Borysthène et
l'Hypanis, est
un certain
canton qu'on
appelle Exampée.
J'en ai fait
mention un peu
plus haut, en
parlant d'une
fontaine dont
les eaux sont si
amères, que
celles de
l'Hypanis, dans
lequel elle se
jette, en sont.
tellement
altérées, qu'il
n'est pas
possible d'en
boire. Il y a
dans ce pays un
vase d'airain
six fois plus
grand que le
cratère qui se
voit à
l'embouchure du
Pont-Euxin, et
que Pausanias,
fils de
Cléombrote, y a
consacré. Je
vais en donner
les dimensions,
en faveur de
ceux qui ne
l'ont point vu.
Ce vase d'airain,
qui est dans la
Scythie,
contient
aisément six-
cents amphores,
et il a six
doigts
d'épaisseur. Les
habitants du
pays m'ont dit
qu'il avait été
fait de pointes
de flèches ; que
leur roi
Ariantas,
voulant savoir
le nombre de ses
sujets, commanda
à tous les
Scythes
d'apporter
chacun une
pointe de flèche,
sous peine de
mort ; qu'on lui
en apporta en
effet une
quantité
prodigieuse,
dont il fit
faire ce vase
d'airain, qu'il
consacra dans le
lieu qu'on
appelle Exampée,
comme un
monument qu'il
laissait à la
postérité. Voilà
ce que j'ai
appris de la
population des
Scythes.
LXXXII. La
Scythie n'a rien
de merveilleux
que les fleuves
qui l'arrosent ;
ils sont très
considérables et
en très grand
nombre. Mais,
indépendamment
de ses fleuves
et de ses vastes
plaines, on y
montre encore
une chose digne
d'admiration :
c'est
l'empreinte du
pied d'Hercule,
sur un roc près
du Tyras. Cette
empreinte
ressemble à
celle d'un pied
d'homme, mais
elle a deux
coudées de long.
Revenons
maintenant au
sujet dont je
m'étais proposé
de parler au
commencement de
ce livre.
LXXXIII. Darius
fit de grands
préparatifs
contre les
Scythes ; il
dépêcha de
toutes parts des
courriers, pour
ordonner aux uns
de lever une
armée de terre,
aux autres
d'équiper une
flotte, à
d'autres enfin
de construire un
pont de bateaux
sur le Bosphore
de Thrace.
Cependant
Artabane, fils
d'Hystaspes et
frère de Darius,
n'était
nullement d'avis
que le roi
entreprit de
porter la guerre
en Scythie. Il
lui représenta
la pauvreté des
Scythes ; mais
quand il vit que
ses
remontrances,
quoique sages,
ne faisaient
aucune
impression sur
son esprit, il
n'insista pas
davantage. Les
préparatifs
achevés, Darius,
à la tête de son
armée, partit de
Suses.
LXXXIV. Alors un
Perse, nommé
Oeobazus, dont
les trois fils
étaient de cette
expédition, pria
Darius d'en
laisser un
auprès de lui.
Ce prince lui
répondit, comme
à un ami dont la
demande était
modérée, qu'il
les lui
laisserait tous
trois. Le Perse,
charmé de cette
réponse, se
flattait que ses
trois fils
allaient avoir
leur congé ;
mais le roi
ordonna à ceux
qui présidaient
aux exécutions
de faire mourir
tous les enfants
d'Oeobazus ; et,
après leur mort,
on les laissa en
cet endroit-là
même.
LXXXV. Darius se
rendit de Suses
à Chalcédoine,
sur le Bosphore,
où l'on avait
fait le pont. Il
s'y embarqua, et
fit voile vers
les îles Cyanées,
qui étaient
autrefois
errantes, s'il
faut en croire
les Grecs. Il
s'assit dans le
temple, et de là
se mit à
considérer le
Pont-Euxin :
c'est, de toutes
les mers, celle
qui mérite le
plus notre
admiration. Elle
a onze mille
cent stades de
longueur, sur
trois mille
trois cents de
largeur à
l'endroit où
elle est le plus
large.
L'embouchure de
cette mer a
quatre stades de
large sur
environ six
vingts stades de
long. Ce col, ou
détroit,
s'appelle
Bosphore.
C'était là où
l'on avait jeté
le pont. Le
Bosphore s'étend
jusqu'à la
Propontide.
Quant à la
Propontide, elle
a cinq cents
stades de
largeur sur
quatorze cents
de longueur, et
se jette dans
l'Hellespont,
qui, dans
l'endroit oit il
est le moins
large, n'a que
sept stades de
largeur sur
quatre cents de
longueur.
L'Hellespont
communique à une
mer d'une vaste
étendue, qu'on
appelle la mer
Égée.
LXXXVI. On a
mesuré ces mers
de la manière
suivante : dans
les longs jours,
un vaisseau fait
en tout environ
soixante et dix
mille orgyies de
chemin, et
soixante mille
par nuit. Or, de
l'embouchure du
Pont-Euxin au
Phase, qui est
sa plus grande
longueur, il y a
neuf jours et
huit nuits de
navigation :
cela fait onze
cent dix mille
orgyies c'est-à-dire
onze mille cent
stades. De la
Sindigne à
Thémiscyre, sur
le Thermodon, où
le Pont-Euxin
est le plus
large, on compte
trois jours et
deux nuits de
navigation, qui
font trois cent
trente mille
orgyies, ou
trois mille
trois cents
stades. C'est
ainsi que j'ai
pris les
dimensions du
Pont-Euxin, du
Bosphore et de
l'Hellespont ;
et ces mers sont
naturellement
telles que je
les ai
représentées. Le
Palus-Maeotis se
jette dans le
Pont-Euxin ; il
n'est guère
moins grand que
cette mer, et on
l'appelle la mer
du Pont.
LXXXVII. Lorsque
Darius eut
considéré le
Pont-Euxin, il
revint par mer
au pont de
bateaux, dont
Mandroclès de
Samos était
l'entrepreneur.
Il examina aussi
le Bosphore ;
et, sur le bord
de ce détroit,
on érigea, par
son ordre, deux
colonnes de
pierre blanche.
Il lit graver
sur l'une, en
caractères
assyriens, et
sur l'autre, en
lettres grecques,
les noms de
toutes les
nations qu'il
avait à sa
suite. Or il
menait à cette
guerre tous les
peuples qui lui
étaient soumis.
On comptait dans
cette armée sept
cent mille
hommes avec la
cavalerie, sans
y comprendre la
flotte, qui
était de six
cents voiles.
Depuis
l'expédition des
Perses en
Scythie, les
Byzantins ont
transporté ces
deux colonnes
dans leur ville,
et les ont fait
servir à l'autel
de Diane
Orthosienne,
excepté une
seule pierre
qu'on a laissée
auprès du temple
de Bacchus à
Byzance, et qui
est entièrement
chargée de
lettres
assyriennes. Au
reste, l'endroit
du Bosphore où
Darius fit jeter
un pont est, ce
me semble,
autant que je
puis le
conjecturer, à
moitié chemin de
Byzance, au
temple qu'on
voit à
l'embouchure du
Pont-Euxin.
LXXXVIII.
Darius,
satisfait de ce
pont, fit de
riches présents
à Mandroclès de
Samos, qui en
était
l'entrepreneur.
Mandroclès
employa les
prémices de ces
présents à faire
faire un tableau
qui représentait
le pont du
Bosphore, avec
le roi Darius
assis sur son
trône et
regardant
défiler ses
troupes. Il fit
une offrande de
ce tableau au
temple de Junon,
et y ajouta une
inscription en
ces termes : «Mandroclès
a consacré à
Junon ce
monument en
reconnaissance
de ce qu'il a
réussi, au gré
du roi Darius, à
jeter un pont
sur le Bosphore.
Il s'est, par
cette entreprise,
couvert de
gloire, et a
rendu immortel
le nom de Samos
sa patrie.»Tel
est le monument
qu'a laissé
celui qui a
présidé à la
construction de
ce pont.
LXXXIX. Darius,
ayant récompensé
Mandroclès,
passa en Europe.
Il avait ordonné
aux Ioniens de
faire voile par
le Pont-Euxin
jusqu'à l’Ister,
de jeter un pont
sur ce fleuve
quand ils y
seraient arrivés,
et de l'attendre
en cet endroit.
Les Ioniens, les
Éoliens et les
habitants de
l'Hellespont
conduisaient
l'armée navale.
La flotte passa
donc les Cyanées,
fit voile droit
à l'Ister; et,
après avoir
remonté le
fleuve pendant
deux jours,
depuis la mer
jusqu'à
l'endroit où il
se partage en
plusieurs bras
qui forment
autant
d'embouchures,
toute l'armée
navale y
construisit un
pont. Darius,
ayant traversée
Bosphore sur le
pont de bateaux,
prit son chemin
par la Thrace ;
et, quand il fut
arrivé aux
sources du Téare,
il y campa trois
jours.
XC. Les peuples
qui habitent sur
ses bords
prétendent que
ses eaux sont
excellentes
contre plusieurs
sortes de maux,
et
particulièrement
qu'elles
guérissent les
hommes et les
chevaux de la
gale. Ses
sources sortent
du même rocher,
au nombre de
trente-huit :
les unes sont
chaudes, les
autres froides.
Elles sont à
égale distance
de la ville
d'Héraeum, qui
est près de
Périnthe et
d'Apollonie,
ville située sur
le Pont-Euxin,
c'est-à-dire à
deux journées de
marche de l'une
et de l'autre de
ces places. Le
Téare se jette
dans le
Contadesdus, le
Contadesdus dans
l'Agrianès,
l'Agrianès dans
l'Hèbre, et
l'Hèbre dans la
mer, près de la
ville d'Aenos.
XCI. Darius,
étant arrivé aux
sources du
Téare, y assit
son camp. Il
prit tant de
plaisir à voir
ce fleuve, qu'il
fit ériger dans
le même endroit
une colonne,
avec cette
inscription :
LES SOURCES DU
TÉARE DONNENT
LES MEILLEURES
ET LES PLUS
BELLES EAUX DU
MONDE : DARIUS,
FILS D'HYSTASPE,
LE MEILLEUR ET
LE PLUS BEAU DE
TOUS LES HOMMES,
ROI DES PERSES
ET DE TOUTE LA
TERRE FERME,
MARCHANT CONTRE
LES SCYTHES, EST
ARRIVÉ SUR SES
BORDS.
XCII. Darius
partit de là
pour se rendre
sur une autre
rivière qu'on
appelle
Artiscus, et qui
traverse le pays
des Odryses.
Quand il fut
arrivé sur ses
bords, il
désigna à ses
troupes un
certain endroit,
où il ordonna à
chaque soldat de
mettre une
pierre en
passant. L'ordre
fut exécuté par
toute l'armée ;
et Darius, ayant
laissé en ce
lieu de grands
tas de pierres,
continua sa
marche avec ses
troupes.
XCIII. Avant que
d'arriver à
l’Ister, les
Gètes, qui se
disent
immortels,
furent les
premiers peuples
qu'il subjugua.
Les Thraces de
Salmydesse, et
ceux qui
demeurent
au-dessus
d'Apollonie et
de la ville de
Mésambria, qu'on
appelle
Scyrmiades et
Nipséens,
s'étaient rendus
à lui sans
combattre et
sans faire la
moindre
résistance. Les
Gètes, par un
fol entêtement,
se mirent en
défense ; mais
ils furent
sur-le-champ
réduitse en
esclavage. Ces
peuples sont les
plus braves et
les plus justes
d'entre les
Thraces.
XCIV. Les Gètes
se croient
immortels, et
pensent que
celui qui meurt
va trouver leur
dieu Zalmoxis,
que quelques-uns
d'entre eux
croient le même
que Gébéléizis.
Tous les cinq
ans ifs tirent
au sort
quelqu'un de
leur nation, et
l'envoient
porter de leurs
nouvelles à
Zalmoxis, avec
ordre de lui
représenter
leurs besoins.
Voici comment se
fait la
députation.
Trois d'entre
eux sont chargés
de tenir chacun
une javeline la
pointe en haut,
tandis que
d'autres
prennent, par
les pieds et par
les mains, celui
qu'on envoie à
Zalmoxis. Ils le
mettent en
branle, et le
lancent en l'air,
de façon qu'il
retombe sur la
pointe des
javelines. S'il
meurt de ses
blessures, ils
croient que le
dieu leur est
propice ; s'il
n'en meurt pas,
ils l'accusent
d'être un
méchant. Quand
ils ont cessé de
l'accuser, ils
en députent un
autre, et lui
donnent aussi
leurs ordres,
tandis qu'il est
encore en vie.
Ces mêmes
Thraces tirent
aussi des
flèches contre
le ciel, quand
il tonne et
qu'il éclaire,
pour menacer le
dieu qui lance
la foudre,
persuadés qu'il
n'y a point
d'autre dieu que
celui qu'ils
adorent.
XCV. J'ai
néanmoins ouï
dire aux Grecs
qui habitent
l'Hellespont et
le Pont que ce
Zalmoxis était
un homme, et
qu'il avait été
à Samos esclave
de Pythagore,
fils de
Mnésarque;
qu'ayant été mis
en liberté, il
avait amassé de
grandes
richesses, avec
lesquelles il
était retourné
dans son pays.
Quand il eut
remarqué la vie
malheureuse et
grossière des
Thraces, comme
il avait été
instruit des
usages des
Ioniens, et
qu'il avait
contracté avec
les Grecs, et
particulièrement
avec Pythagore,
un des plus
célèbres
philosophes de
la Grèce,
l'habitude de
penser plus
profondément que
ses compatriotes,
il fit bâtir une
salle oit il
régalait les
premiers de la
nation. An
milieu du repas,
il leur
apprenait que ni
lui, ni ses
conviés, ni
leurs
descendants à
perpétuité, ne
mourraient
point, mais
qu'ils iraient
dans un lieu où
ils jouiraient
éternellement de
toutes sortes de
biens. Pendant
qu'il traitait
ainsi ses
compatriotes, et
qu'il !es
entretenait de
pareils discours,
il se faisait
faire un
logement sous
terre. Ce
logement achevé,
il se déroba aux
yeux des Thraces,
descendit dans
ce souterrain,
et y demeura
environ trois
ans. Il fut
regretté et
pleuré comme
mort. Enfin, la
quatrième année,
il reparut, et
rendit croyables,
par cet
artifice, tous
les discours
qu'il avait
tenus.
XCVI. Je ne
rejette ni
n'admets ce
qu'on raconte de
Zalmoxis et de
son logement
souterrain, mais
je pense qu'il
est antérieur de
bien des années
Pythagore. Au
reste, que
Zalmoxis ait été
un homme, ou que
ce soit quelque
dieu du pays des
Gètes, c'en est
assez sur ce qui
le concerne. Les
Gètes, chez qui
se pratique la
cérémonie dont
je viens de
parler, ayant
été subjugués
par les Perses,
suivirent
l'armée.
XCVII. Darius,
étant arrivé sur
les bords de
l'Ister avec son
armée de terre,
la fit passer de
l'autre côté du
fleuve. Alors il
commanda aux
Ioniens de
rompre le pont,
et de
l'accompagner
par terre avec
toutes les
troupes de la
flotte. Mais
comme ils
étaient sur le
point de le
rompre et
d'exécuter ses
ordres, Coès,
fils d'Erxandre,
qui commandait
les Mityléniens,
parla à Darius
en ces termes,
après lui avoir
demandé la
permission de
lui dire son
sentiment :
«Seigneur,
puisque vous
allez porter la
guerre dans un
pays où il n'y a
ni terres
labourées ni
villes, laissez
subsister le
pont tel qu'il
est : ordonnez
seulement à ceux
qui l'ont
construit de
rester auprès
pour le garder.
Par ce moyen,
soit que nous
trouvions les
Scythes et que
nous
réussissions
selon notre
espérance, soit
que nous ne
puissions les
rencontrer, nous
pourrons nous
retirer avec
sécurité. Ce
n'est pas que je
craigne que nous
soyons battus
par les Scythes
; mais
j'appréhende que,
ne pouvant les
trouver, il ne
nous arrive
quelque fâcheux
accident dans
les déserts. On
dira peut-être
que je parle
pour moi, et que
je voudrais
rester ici. Mais,
seigneur,
content de
proposer à votre
conseil le
sentiment qui me
paraît le plus
avantageux, je
suis prêt à vous
suivre, et la
grâce que je
vous demande,
c'est de ne me
point laisser
ici.»
Darius, charmé
de ce discours,
lui dit : «Mon
hôte de Lesbos,
lorsque après
mon expédition
je serai de
retour sain et
sauf dans mes
États, ne
manquez pas de
vous présenter
devant moi, afin
que je vous
récompense
dignement du bon
conseil que vous
me donnez.»
XCVIII. Ayant
ainsi parlé, il
fit soixante
noeuds à une
courroie, manda
les tyrans des
Ioniens, et leur
tint ce discours
: «Ioniens, j'ai
changé d'avis au
sujet du pont :
prenez cette
courroie, et
ayez soin
d'exécuter mes
ordres. Quand
vous me verrez
parti pour la
Scythie,
commencez dès
lors à défaire
chaque jour un
de ces noeuds.
Si je ne suis
pas de retour
ici après que
vous les aurez
tous dénoués,
vous retournerez
dans votre
patrie. Mais
puisque j'ai
changé de
sentiment,
gardez le pont
jusqu'à ce
temps, et ne
négligez rien,
tant pour le
défendre que
pour le
conserver; vous
me rendrez en
cela un service
essentiel.»
Darius, ayant
ainsi parlé,
marcha en avant.
XCIX. La Thrace
a devant elle la
partie de la
Scythie qui
aboutit à la
mer. A l'endroit
où finit le
golfe de Thrace,
là commence la
Scythie. L'Ister
en traverse une
partie, et se
jette dans la
mer du côté du
sud-est.
Je vais indiquer
ce qu'on trouve
après l'Ister,
et donner la
mesure de la
partie de la
Scythie qui est
au delà de ce
fleuve, du côté
de la mer.
L'ancienne
Scythie est
située au midi
jusqu'à la ville
de Carcinitis.
Le pays au delà
de cette ville,
en allant vers
la même mer, est
montagneux ; il
est habité par
la nation
taurique, qui
s'étend jusqu'a
la ville de
Chersonèse-Trachée,
et cette ville
est sur les
bords de la mer
qui est à l'est.
Il y a en effet
deux parties des
contins de la
Scythie qui sont
bornées, comme
l'Attique, l'une
par la mer qui
est au sud,
l'autre par
celle qui est à
l'est. Les
Taures sont, par
rapport à cette
partie de la
Scythie, dans la
même position
que serait, par
rapport aux
Athéniens, un
autre peuple qui
habiterait la
pointe du
promontoire
Sunium, qui
s'étend depuis
le bourg de
Thorique jusqu'à
celui
d'Anaphlyste, et
s'avance
beaucoup dans la
mer. Telle est
la situation de
la Tauride, s'il
est permis de
comparer de
petites choses
aux grandes.
Mais, en faveur
de ceux qui
n'ont jamais
côtoyé cette
partie de
l'Attique, je
vais expliquer
cela d'une autre
façon : qu'on
suppose qu'il ne
autre nation que
celle des
Iapyges habite
le promontoire
d'Iapygie, à
commencer au
port de
Brentésium, et
le coupe ou
sépare depuis
cet endroit
jusqu'à Tarente.
Au reste, en
parlant de ces
deux
promontoires,
c'est comme si
je parlais de
plusieurs autres
pareils auxquels
la Tauride
ressemble.
C. Au delà de la
Tauride, on
trouve des
Scythes qui
habitent le pays
au-dessus des
Taures, et celui
qui s'étend vers
la mer qui est à
l'est, ainsi que
les côtes
occidentales du
Bosphore
Cimmérien et du
Palus-Maeotis
jusqu'au Tanaïs,
fleuve qui se
décharge dans
une anse de ce
Palus. A prendre
donc depuis
l'Ister, et à
remonter par le
milieu des
terres, la
Scythie est
bornée
premièrement par
le pays des
Agathyrses,
ensuite par
celui des Neuves,
troisièmement
par celui des
Androphages, et
enfin par celui
des
Mélanchlaenes.
CI. La Scythie
étant tétragone,
et deux de ses
côtes s'étendant
le long de la
mer, l'espace
qu'elle occupe
vers le milieu
des terres est
parfaitement
égal à celui
qu'elle a le
long des côtes.
En effet, depuis
l'Ister jusqu'au
Borysthène, il y
a dix journées
de chemin ; du
Borysthène au
Palus-Maeotis,
il y en a dix
autres ; et
depuis la mer,
en remontant par
le milieu des
terres jusqu'au
pays des
Mélanchlaenes,
qui habitent au-dessus
des Scythes, il
y a vingt jours
de marche. Or,
je compte deux
cents stades
pour chaque
journée de
chemin. Ainsi la
Scythie aura
quatre mille
stades de
traverse le long
des côtes, et
quatre mille
autres stades à
prendre droit
par le milieu
des terres.
Telle est
l'étendue de ce
pays.
CII. Les Scythes
ayant fait
réflexion qu'ils
ne pouvaient
pas, avec leurs
seules forces,
vaincre en
bataille rangée
une armée aussi
nombreuse que
celle de Darius,
envoyèrent des
ambassadeurs à
leurs voisins.
Les rois de ces
nations, s'étant
assemblés,
délibérèrent sur
cette armée qui
venait envahir
la Scythie. Ces
rois étaient
ceux des Taures,
des Agathyrses,
des Neures, des
Androphages, des
Mélanchlaenes,
des Gélons, des
Budins et des
Sauromates.
CIII. Ceux
d'entre ces
peuples qu'on
appelle Taures
ont des coutumes
particulières.
Ils immolent à
Iphigénie de la
manière que je
vais dire les
étrangers qui
échouent sur
leurs côtes, et
tous les Grecs
qui y abordent
et qui tombent
entre leurs
mains. Après les
cérémonies
accoutumées, ils
les assomment
d'un coup de
massue sur la
tête :
quelques-uns
disent qu'ils
leur coupent
ensuite la tête
et l'attachent à
une croix, et
qu'ils
précipitent le
corps du haut du
rocher où le
temple est bâti
; quelques
autres
conviennent du
traitement fait
à la tête, mais
ils assurent
qu'on enterre le
corps, au lieu
de le précipiter
du haut du
rocher. Les
Taures eux-mêmes
disent que la
déesse à
laquelle ils
font ces
sacrifices est
Iphigénie, fille
d'Agamemnon.
Quant à leurs
ennemis, si un
Taure fait dans
les combats un
prisonnier, il
lui coupe la
tête et
l'emporte chez
lui. Il la met
ensuite au bout
d'une perche
qu'il place sur
sa maison, et
surtout au-dessus
de la cheminée.
Ils élèvent de
la sorte la tête
de leurs
prisonniers,
afin, disent-ils,
qu'elle garde et
protège toute a
maison. Ils
subsistent du
butin qu'ils
font à la
guerre.
CIV. Les
Agathyrses
portent, la
plupart du
temps, des
ornements d'or,
et sont les plus
efféminés de
tous le hommes.
Les femmes sont
communes entre
eux, afin
qu'étant tous
unis par les
liens du sang,
et que ne
faisant tous,
pour ainsi dire,
qu'une seule et
même famille,
ils ne soient
sujets ni à la
haine ni à la
jalousie. Quant
au reste de
leurs coutumes,
elles ont
beaucoup de
conformité avec
celles des
Thraces.
CV. Les Neures
observent les
mêmes usages que
les Scythes. Une
génération avant
l'expédition de
Darius, ils
furent forcés de
sortir de leur
pays, à cause
d'une multitude
de serpents
qu'il produisit,
et parce qu'il
en vint en plus
grand nombre des
déserts qui sont
au-dessus d'eux.
Ils en furent
tellement
infestés, qu'ils
s'expatrièrent,
et se retirèrent
chez les Budins.
Il paraît que
ces peuples sont
des enchanteurs.
En effet, s'il
faut eu croire
les Scythes et
les Grecs
établis en
Scythie, chaque
Neure se change
une fois par an
en loup pour
quelques jours,
et reprend
ensuite sa
première forme.
Les Scythes ont
beau dire, ils
ne me feront pas
croire de
pareils contes ;
ce n'est pas
qu'ils ne les
soutiennent, et
même avec
serment.
CVI. Il n'est
point d'hommes
qui aient des
moeurs plus
sauvages que les
Androphages (anthropophages).
Ils ne
connaissent ni
les lois ni la
justice ; ils
sont nomades.
Leurs habits
ressemblent à
ceux des Scythes
; mais ils ont
une langue
particulière. De
tous les peuples
dont je viens de
parler, ce sont
les seuls qui
mangent de la
chair humaine.
CVII. Les
Mélanchlaenes
portent tous des
habits noirs ;
de là vient leur
nom. Ils suivent
les coutumes et
les usages des
Scythes.
CVIII. Les
Budins forment
une grande et
nombreuse
nation. Ils se
peignent le
corps entier en
bleu et en
rouge. Il y a
dans leur pays
une ville
entièrement
bâtie en bois ;
elle s'appelle
Gélonus. Ses
murailles sont
aussi toutes de
bois ; elles
sont hautes, et
ont à chaque
face trente
stades de
longueur. Leurs
maisons et leurs
temples sont
aussi de bois.
Il y a en effet
dans ce pays des
temples
consacrés aux
dieux des Grecs.
Ils sont bâtis à
la façon des
Grecs, et ornés
de statues,
d'autels et de
chapelles de
bois. De trois
en trois ans,
ils célèbrent
des fêtes en
l'honneur de
Bacchus. Aussi
les Gélons
sont-ils Grecs
d'origine. Ayant
été chassés des
villes de
commerce, ils
s'établirent
dans le pays des
Budins. Leur
langue est un
mélange de grec
et de scythe.
CIX. Les Budins
n'ont ni la même
langue ni la
même manière de
vivre que les
Gérons. Ils sont
autochtones,
nomades, et les
seuls de cette
contrée qui
mangent de la
vermine. Les
Gélons, au
contraire,
cultivent la
terre, vivent de
blé, ont des
jardins, et ne
ressemblent aux
Budins ni par
l'air du visage
ni par la
couleur. Les
Grecs les
confondent, et
comprennent les
Budins sous le
nom de Gélons ;
mais ils se
trompent.
Leur pays entier
est couvert
d'arbres de
toute espèce ;
et, dans le
canton où il y
en a le plus, on
trouve un lac
grandet spacieux,
et un marais
bordé de roseaux.
On prend dans ce
lac des loutres,
des castors, et
d'autres animaux
qui ont le
museau carré.
Leurs peaux
servent à faire
des bordures aux
habits, et leurs
testicules sont
excellents pour
les maux de mère.
CX. Quant aux
Sauromates,
voici ce qu'on
en dit. Lorsque
les Grecs eurent
combattu contre
les Amazones,
que les Scythes
appellent
Aiorpata, nom
que les Grecs
rendent en leur
langue par celui
d'Androctones
(qui tuent des
hommes), car
aior, en scythe,
signifie un
homme, et pata
veut dire tuer ;
quand ils eurent,
dis je, combattu
contre elles, et
qu'ils eurent
remporté la
victoire sur les
bords du
Thermodon, on
raconte qu'ils
emmenèrent avec
eux, dans trois
vaisseaux,
toutes celles
qu'ils avaient
pu faire
prisonnières.
Lorsqu'on fut en
pleine mer,
elles
attaquèrent
leurs vainqueurs
et les
taillèrent en
pièces. Mais,
comme elles
n'entendaient
rien à la
manoeuvre des
vaisseaux et
qu'elles ne
savaient pas
faire usage du
gouvernail, des
voiles et des
rames, après
qu'elles eurent
tué les hommes,
elles se
laissèrent aller
au gré des flots
et des vents, et
abordèrent à
Cremnes, sur le
Palus-Maeotis.
Cremnes est du
pays des Scythes
libres. Les
Amazones, étant
descendues de
leurs vaisseaux
en cet endroit,
avancèrent par
le milieu des
terres habitées
; et, s'étant
emparées du
premier haras
qu'elles
rencontrèrent
sur leur route,
elles montèrent
à cheval, et
pillèrent les
terres des
Scythes.
CXI. Les Scythes
ne pouvaient
deviner qui
étaient ces
ennemis, dont
ils ne
connaissaient ni
le langage ni
l'habit ; ils
ignoraient aussi
de quelle nation
ils étaient, et,
dans leur
surprise, ils
n'imaginaient
pas d'où ils
venaient.
Trompés par
l'uniformité de
leur taille, ils
les prirent
d'abord pour des
hommes, et, dans
cette idée, ils
leur livrèrent
bataille. Mais
ils reconnurent,
par les morts
restés en leur
pouvoir après le
combat, que
c'étaient des
femmes. Ils
résolurent, dans
un conseil tenu
à ce sujet, de
n'en plus tuer
aucune ; mais de
leur envoyer les
plus jeunes
d'entre eux en
aussi grand
nombre qu'ils
conjecturaient
qu'elles
pouvaient être,
avec ordre
d'asseoir leur
camp près de
celui des
Amazones, de
faire les mêmes
choses qu'ils
leur verraient
faire, de ne pas
combattre quand
même elles les
attaqueraient,
mais de prendre
la fuite, et de
s'approcher et
de camper près
d'elles
lorsqu'elles
cesseraient de
les poursuivre.
Les Scythes
prirent cette
résolution,
parce qu'ils
voulaient avoir
des enfants de
ces femmes
belliqueuses.
CXII. Les jeunes
gens suivirent
ces ordres : les
Amazones, ayant
reconnu qu'ils
n'étaient pas
venus pour leur
faire du mal,
les laissèrent
tranquilles.
Cependant les
deux camps
s'approchaient
tous les jours
de plus en plus.
Les jeunes
Scythes
n'avaient, comme
les Amazones,
que leurs armes
et leurs chevaux,
et vivaient,
comme elles, de
leur chasse et
du butin qu'ils
pouvaient
enlever.
CXIII. Vers
l'heure de midi,
les Amazones
s'éloignaient du
camp, seules ou
deux à deux,
pour satisfaire
aux bcsoins de
la nature. Les
Scythes, s'en
étant aperçus,
firent la même
chose. Un
d'entre eux
s'approcha d'une
de ces Amazones
isolées, et
celle-ci, loin
de le repousser,
lui accorda ses
faveurs. Comme
elle ne pouvait
lui parler,
parce qu'ils ne
s'entendaient
pas l'un et
l'autre, elle
lui dit par
signes de
revenir le
lendemain au
même endroit
avec un de ses
compagnons, et
qu'elle
amènerait aussi
une de ses
compagnes. Le
jeune Scythe, de
retour au camp,
y raconta son
aventure ; et le
jour suivant il
revint avec un
autre Scythe au
même endroit,
oit il trouva
l'Amazone, qui
l'attendait avec
une de ses
compagnes.
CXIV. Les autres
jeunes gens,
instruits de
celte aventure,
apprivoisèrent
aussi le reste
des Amazones ;
et, ayant
ensuite réuni
les deux camps,
ils demeurèrent
ensemble, et
chacun prit pour
femme celle dont
il avait eu
d'abord les
faveurs. Ces
jeunes gens ne
pouvaient
apprendre la
langue de leurs
compagnes; mais
les Amazones
apprirent celle
de leurs maris ;
et, lorsqu'ils
commencèrent à
s'entendre, les
Scythes leur
parlèrent ainsi
: «Nous avons
des parents,
nous avons des
biens ; menons
une autre vie :
réunissons-nous
au reste des
Scythes, et
vivons avec eux.
Nous n'aurons
jamais d'autres
femmes que vous.»
«Nous ne
pourrions pas,
répondirent les
Amazones,
demeurer avec
les femmes de
votre pays.
Leurs coutumes
ne ressemblent
en rien aux
nôtres : nous
tirons de l'arc,
nous lançons le
javelot, nous
montons à
cheval, et nous
n'avons point
appris les
ouvrages propres
à notre sexe.
Vos femmes ne
font rien de ce
que nous venons
de dire, et ne
s'occupent qu'à
des ouvrages de
femmes. Elles ne
quittent point
leurs chariots,
ne vont point à
la chasse, ni
même nulle part
ailleurs. Nous
ne pourrions par
conséquent
jamais nous
accorder
ensemble. Mais
si vous voulez
nous avoir pour
femmes, et
montrer de la
justice, allez
trouver vos
pères,
demandez-leur la
partie de leurs
biens qui vous
appartient ;
revenez après
l'avoir reçue,
et nous vivrons
en notre
particulier.»
CXV. Les jeunes
Scythes,
persuadés,
firent ce que
souhaitaient
leurs femmes ;
et, lorsqu'ils
eurent recueilli
la portion de
leur patrimoine
qui leur
revenait, ils
les rejoignirent.
Alors elles leur
parlèrent ainsi
: «Après vous
avoir privés de
vos pères, et
après les dégâts
que nous avons
faits sur vos
terres, nous en
craindrions les
suites s'il nous
fallait demeurer
dans ce pays ;
mais, puisque
vous voulez bien
nous prendre
pour femmes,
sortons-en tous
d'un commun
accord, et
allons nous
établir au delà
du Tanaïs.»
CXVI. Les jeunes
Scythes y
consentirent.
ils passèrent le
Tanaïs ; et,
ayant marché
trois jours à
l'est, et autant
depuis le
Palus-Maeotis
vers le nord,
ils arrivèrent
dans le pays
qu'ils habitent
encore
maintenant, et
oit ils fixèrent
leur demeure. De
là vient que les
femmes des
Sauromates ont
conservé leurs
anciennes
coutumes : elles
montent à
cheval, et vont
à la chasse,
tantôt seules et
tantôt avec
leurs maris.
Elles les
accompagnent
aussi à la
guerre, et
portent les
mêmes habits
qu'eux.
CXVII. Les
Sauromates font
usage de la
langue scythe ;
mais, depuis
leur origine,
ils ne l'ont
jamais parlée
avec pureté,
parce que les
Amazones ne la
savaient
qu'imparfaitement.
Quant aux
mariages, ils
ont réglé qu'une
fille ne
pourrait se
marier qu'elle
n'eût tué un
ennemi. Aussi y
en a-t-il qui,
ne pouvant
accomplir la loi,
meurent de
vieillesse sans
avoir été
mariées.
CXVIII. Les
ambassadeurs des
Scythes, ayant
été admis à
l'assemblée des
rois des nations
dont nous venons
de parler,
apprirent à ces
princes que
Darius, après
avoir
entièrement
subjugué l'autre
continent (l'Asie),
était passé dans
le leur sur un
pont de bateaux
qu'il avait fait
construire à
l'endroit le
plus étroit du
Bosphore ; qu'il
avait ensuite
soumis les
Thraces et
traversé l'Ister
sur un pont, à
dessein de se
rendre maître de
leur pays. «Il
ne serait pas
juste,
ajoutèrent-ils,
que, gardant la
neutralité, vous
nous laissiez
périr par votre
négligence :
marchons donc de
concert au-devant
de l'ennemi qui
vient envahir
notre patrie. Si
vous nous
refusez, et que
nous nous
trouvions
pressés, nous
quitterons le
pays ; ou, si
nous y restons,
ce sera aux
conditions que
nous imposeront
les Perses : car
enfin que faire
à cela, si vous
ne voulez pas
nous donner de
secours ? Ne
vous flattez pas
que votre sort
en soit meilleur,
et que, contents
de nous avoir
subjugués, les
Perses vous
épargnent. Leur
invasion ne vous
regarde pas
moins que nous.
En voici une
preuve à
laquelle vous
n'avez rien à
opposer. Si les
Perses n'avaient
point d'autre
intention que de
venger
l'assujettissement
où nous les
avons tenus
précédemment,
ils se seraient
contentés de
marcher contre
nous, sans
attaquer les
autres peuples ;
et par là ils
auraient fait
voir à tout le
monde qu'ils
n'en voulaient
qu'aux Scythes.
Mais à peine
sont-ils entrés
dans ce
continent,
qu'ils ont
façonné au joug
tous les peuples
qui se sont
rencontrés sur
leur route, et
déjà ils ont
soumis les
Thraces et les
Gètes, nos
voisins.»
CXIX. Le
discours des
ambassadeurs
fini, ces
princes
délibérèrent sur
leur proposition
: les avis
furent partagés.
Les rois des
Gélons, des
Budins et des
Sauromates
promirent
unanimement du
secours aux
Scythes ; mais
ceux des
Agathyrses, des
Neures, des
Androphages, des
Mélanchlaenes et
des Taures leur
firent cette
réponse : «Si
vous n'aviez pas
fait les
premiers une
guerre injuste
aux Perses, vos
demandes nous
paraîtraient
équitables, et,
pleins de
déférence pour
vous, nous
ferions la même
chose que vous.
Mais vous avez
envahi leur pays
sans notre
participation,
vous l'avez tenu
sous le joug
aussi longtemps
que le dieu l'a
permis ; et
aujourd'hui que
le même dieu
suscite les
Perses contre
vous, ils vous
rendent la
pareille. Pour
nous, nous ne
les offensâmes
point alors, et
nous ne serons
pas aujourd'hui
les premiers
agresseurs. Si
cependant ils
viennent aussi
attaquer notre
pays, s'ils
commencent des
hostilités
contre nous,
nous saurons les
repousser; mais
jusqu'à ce
moment nous
resterons
tranquilles, car
il nous paraît
que les Perses
n'en veulent
qu'à ceux qui
les ont insultés
les premiers.»
CXX. Les
Scythes, ayant
appris par le
rapport de leurs
ambassadeurs
qu'ils ne
devaient pas
compter sur le
secours des
princes leurs
voisins,
résolurent de ne
point présenter
de bataille aux
Perses et de ne
point les
attaquer
ouvertement,
mais de céder
peu à peu le
terrain en se
retirant
toujours en
avant, de
combler les
puits et les
fontaines qu'ils
trouveraient sur
leur route, de
détruire l'herbe,
et pour cet
effet de se
partager en deux
corps. On
convint aussi
que les
Sauromates se
rendraient dans
les États de
Scopasis ; que
si les Perses
tournaient de ce
côté, ils se
retireraient peu
à peu droit au
Tanaïs, le long
du Palus-Maeotis,
et que, lorsque
l'ennemi
retournerait sur
ses pas, ils se
mettraient alors
à le poursuivre.
Tel était le
plan de défense
que devait
suivre cette
partie des
Scythes royaux.
Quant aux deux
autres parties
des Scythes
royaux, il avait
été décidé que
la plus grande,
sur laquelle
régnait
Idanthyrse, se
joindrait à la
troisième, dont
était roi
Taxacis, et que
toutes les deux,
réunies avec les
Gélons et les
Budins, auraient
aussi une
journée d'avance
sur les Perses,
qu'elles se
retireraient peu
à peu, et en
exécutant les
résolutions
prises dans le
conseil ; et
surtout qu'elles
attireraient les
ennemis droit
sur les terres
de ceux qui
avaient refusé
leur alliance,
afin de les
forcer aussi à
la guerre contre
les Perses, et
de leur faire
prendre les
armes malgré eux,
puisqu'ils ne
voulaient pas le
faire de bonne
volonté. Elles
devaient ensuite
retourner dans
leur pays, et
même attaquer
l'ennemi, si,
après en avoir
délibéré, ce
parti leur
paraissait
avantageux.
CXXI. Cette
résolution
prise, les
Scythes allèrent
au-devant de
Darius, et se
firent précéder
par des
coureurs,
l'élite de la
cavalerie. Ils
avaient fait
prendre les
devants à leurs
chariots, qui
tenaient lieu de
maisons à leurs
femmes et à
leurs enfants,
et leur avaient
donné ordre
d'avancer
toujours vers le
nord. Ces
chariots étaient
accompagnés de
leurs troupeaux,
dont ils ne
menaient avec
eux que ce qui
leur était
nécessaire pour
vivre.
CXXII. Tandis
que les chariots
avançaient vers
le nord, les
coureurs
découvrirent tes
Perses environ à
trois journées
de Pister. Comme
ils n'en étaient
éloignés que
d'une journée,
ils campèrent
dans cet
endroit, et
détruisirent
toutes les
productions de
la terre. Les
Perses ne les
eurent pas
plutôt aperçus,
qu'ils les
suivirent dans
leur retraite.
Ayant ensuite
marché droit à
une des trois
parties des
Scythes royaux,
ils la
poursuivirent à
l'est jusqu'au
Tanaïs. Les
Scythes
traversèrent le
fleuve ; et les
Perses, l'ayant
passé après eux,
ne cessèrent de
les suivre que
lorsque, après
avoir parcouru
le pays des
Sauromates, ils
furent arrivés
dans celui des
Budins.
CXXIII. Les
Perses ne purent
causer aucun
dégât tout le
temps qu'ils
furent en
Scythie et dans
le pays des
Sauromates, les
habitants ayant
détruit tout ce
qui était dans
les campagnes ;
mais, quand ils
eurent pénétré
dans le pays des
Budins, ils
trouvèrent la
ville de
Gélonus, qui
était bâtie en
bois. Comme elle
était
entièrement
déserte, et que
les habitants en
avaient tout
emporté, ils y
mirent le feu.
Cela fait, ils
allèrent en
avant, marchant
sur les traces
de l'ennemi ;
enfin, après
avoir parcouru
le pays des
Budins, ils
arrivèrent clans
un désert par
delà ces
peuples, où l'on
ne rencontre pas
un seul homme.
Ce désert a sept
journées de
chemin ; on
trouve au-dessus
le pays des
Thyssagètes,
d'où viennent
quatre grandes
rivières : le
Lycus, l'Oarus,
le Tanaïs et le
Syrgis, qui se
jettent dans le
Palus-Maeotis
après avoir
arrosé les
terres des
Maeotes.
CXXIV. Darius,
étant arrivé
dans ce désert,
s'arrêta sur les
bords de l'Oarus,
où il campa avec
son armée. Il
fit ensuite
construire huit
grands châteaux,
à soixante
stades ou
environ l'un de
l'autre, dont
les ruines
subsistent
encore
maintenant.
Tandis qu'il
s'occupait de
ces ouvrages,
les Scythes
qu'il avait
poursuivis
firent le tour
par le haut du
pays, et
retournèrent en
Scythie. Comme
ils avaient
entièrement
disparu, et
qu'ils ne se
montraient plus,
il laissa ses
châteaux
imparfaits, et
dirigea sa
marche à
l'occident,
persuadé que ces
Scythes
formaient toute
la nation, et
qu'ils étaient
sauvés de ce
côté. Comme il
marchait à
grandes journées,
il arriva en
Scythie, où il
rencontra les
deux corps
d'armée des
Scythes. Il ne
les eut pas
plutôt trouvés,
qu'il se mit à
les poursuivre ;
mais ils avaient
soin de se tenir
toujours à une
journée de lui.
CXXV. Ils
s'enfuyaient,
suivant les
conventions
faites entre eux,
chez les peuples
qui avaient
refusé leur
alliance ; et
Darius les
suivait sans
relâche. Ils se
jetèrent
premièrement sur
les terres des
Mélanchlaenes,
qui furent
alarmés à leur
vue et à celle
des Perses. De
là ils
attirèrent les
Perses chez les
Androphages, où,
ayant semé le
trouble et
l'épouvante, ils
les conduisirent
chez les Neures,
qui furent
également
effrayés ; enfin
ils se sauvèrent
du côté des
Agathyrses. Mais
ceux-ci, voyant
leurs voisins
alarmés prendre
la fuite,
envoyèrent aux
Scythes un
héraut avant
qu'ils eussent
mis le pied dans
leur pays, afin
de leur en
interdire
l'entrée, les
menaçant de leur
livrer bataille,
en cas qu'ils y
vinssent. Après
ces menaces, les
Agathyrses
portèrent leurs
forces sur leurs
frontières, pour
les en écarter.
Les
Mélanchlaenes,
les Androphages
et les Neures,
voyant les
Scythes se jeter
avec les Perses
sur leurs terres,
ne se mirent pas
en devoir de les
repousser.
Saisis de
crainte à cette
vue, ils
oublièrent leurs
menaces, et
s'enfuirent dans
les déserts vers
le nord. Quant
aux Scythes,
comme les
Agathyrses leur
interdisaient
l'entrée de leur
pays, ils ne
cherchèrent plus
à y pénétrer ;
mais, au sortir
de la Neuride,
ils rentrèrent
dans leur patrie,
où les Perses
les suivirent.
CXXVI. Darius,
s'étant aperçu
que les Scythes
tenaient sans
cesse la même
conduite, envoya
un cavalier à
Idanthyrse, leur
roi, avec ordre
de lui parler en
ces termes :
«Ô le plus
misérable des
hommes, pourquoi
fuis-tu toujours,
lorsqu'il est en
ton pouvoir de
t'arrêter et de
me livrer
bataille, si tu
te crois assez
fort pour me
résister ? Si,
au contraire, tu
te sens trop
faible, cesse de
fuir devant moi
; entre en
conférence avec
ton maître, et
ne manque pas de
lui apporter la
terre et l'eau,
comme un gage de
ta soumission.»
CXXVII. «Roi des
Perses, répondit
Idanthyrse,
voici l'état de
mes affaires :
la crainte ne
m'a point fait
prendre
ci-devant la
fuite, et
maintenant je ne
te fuis pas. Je
ne fais
actuellement que
ce que j'avais
coutume de faire
aussi en temps
de paix. Mais je
vais te dire
pourquoi je ne
t'ai pas
combattu sur-le-champ.
Comme nous ne
craignons ni
qu'on prenne nos
villes, puisque
nous n'en avons
point, ni qu'on
fasse du dégât
sur nos terres,
puisqu'elles ne
sont point
cultivées, nous
n'avons pas de
motifs pour nous
hâter de donner
bataille. Si
cependant tu
veux absolument
nous y forcer au
plus tôt, nous
avons les
tombeaux de nos
pères ; trouve-les,
et essaye de les
renverser : tu
connaîtras alors
si nous
combattrons pour
les défendre.
Nous ne te
livrerons pas
bataille
auparavant, à
moins que
quelque bonne
raison ne nous y
oblige. C'en est
assez sur ce qui
regarde le
combat. Quant à
mes maîtres, je
n'en reconnais
point d'autre
que Jupiter,
l'un de mes
ancêtres, et
Vesta, reine des
Scythes. Au lieu
de la terre et
de l'eau, je
t'enverrai des
présents plus
convenables.
Quant à toi, qui
te vantes d'être
mon maître,
c'est à toi de
pleurer.» Telle
est la réponse
des Scythes, que
le héraut alla
porter à Darius.
CXXVIII. Au seul
nom de
servitude, les
rois des
Scythes, irrités,
firent partir
les Scythes sur
qui régnait
Scopasis, avec
les Sauromates
qui servaient
avec eux, pour
aller conférer
avec les Ioniens,
à qui l'on avait
confié la garde
du pont de
l'Ister. Quant
aux Scythes qui
restaient dans
le pays, ils
résolurent de ne
plus forcer les
Perses à courir
de côté et
d'autre, mais de
les attaquer
toutes les fois
qu'ils
prendraient leur
repas. En
conséquence,
ayant observé le
temps où ils le
prenaient, ils
exécutèrent ce
qui avait été
concerté entre
eux. Dans ces
attaques, la
cavalerie des
Scythes mettait
toujours en
fuite celle des
Perses ; mais
celle-ci en
fuyant se
repliait sur
l'infanterie,
qui ne manquait
pas de la
soutenir. Ainsi,
lorsque les
Scythes avaient
fait reculer la
cavalerie
ennemie, la
crainte des gens
de pied les
forçait aussitôt
à se retirer.
Ils ne
laissaient pas
néanmoins de
recommencer de
pareilles
attaques pendant
la nuit.
CXXIX. Ce qui
est bien
étonnant, c'est
que le cri des
ânes et la
figure des
mulets
favorisaient les
Perses, et
étaient
désavantageux
aux Scythes
quand ils
attaquaient le
camp de Darius.
Il ne naît en
effet, en
Scythie, ni âne
ni mulet, comme
je l'ai dit plus
haut ; et même
on n'en voit pas
un seul dans
tout le pays, à
cause du froid.
Les ânes
jetaient, par
leurs cris,
l'épouvante
parmi la
cavalerie des
Scythes. Il
arrivait souvent
que celle-ci
allait à la
charge ; mais si,
sur ces
entrefaites, les
chevaux les
entendaient, ils
dressaient les
oreilles
d'étonnement, et
reculaient
troublés, parce
qu'ils n'étaient
accoutumés ni
aux cris ni à la
figure de ces
animaux. Mais
c'était un
faible avantage.
CXXX. Les
Scythes, s'étant
aperçus de
l'embarras des
Perses, eurent
recours à cet
artifice pour
les faire rester
plus longtemps
en Scythie, et
les tourmenter
par l'extrême
disette de
toutes choses.
ils leur
abandonnèrent
quelques-uns de
leurs troupeaux
avec ceux qui
les gardaient,
et se retirèrent
dans un autre
canton. Les
Perses se
jetèrent sur ces
troupeaux, et
les enlevèrent.
CXXXI. Ce
premier succès
les encouragea,
et fut suivi de
plusieurs autres
; mais enfin
Darius se trouva
dans une extrême
disette. Les
rois des
Scythes, en
étant instruits,
lui envoyèrent
un héraut avec
des présents,
qui consistaient
en un oiseau, un
rat, une
grenouille et
cinq flèches.
Les Perses
demandèrent à
l'envoyé ce que
signifiait ces
présents. Il
répondit qu'on
l'avait
seulement chargé
de les offrir,
et de s'en
retourner
aussitôt après ;
qu'il les
exhortait
cependant, s'ils
avaient de la
sagacité, à
tâcher d'en
pénétrer le
sens.
CXXXII. Dans un
conseil tenu à
ce sujet, Darius
prétendait que
les Scythes lui
donnaient la
terre et l'eau,
comme un gage de
leur soumission.
Il le
conjecturait sur
ce que le rat
naît dans la
terre, et se
nourrit de blé
ainsi que
l'homme ; que la
grenouille
s'engendre dans
l'eau ; que
l'oiseau a
beaucoup de
rapport au
cheval, et
qu'enfin les
Scythes, en lui
donnant des
flèches, lui
livraient leurs
forces. Tel fut
le sentiment de
Darius. Mais
Gobryas, l'un
des sept qui
avaient détrôné
le mage, fut
d'un autre avis.
«Perses, leur
dit-il, ces
présents
signifient que,
si vous ne vous
envolez pas dans
les airs comme
des oiseaux, ou
si vous ne vous
cachez pas sous
terre comme des
rats, ou si vous
ne sautez pas
dans les marais
comme des
grenouilles,
vous ne reverrez
jamais votre
patrie, mais que
vous périrez par
ces flèches.»
C'est ainsi que
les Perses
interprétèrent
ces présents.
CXXXIII. La
partie des
Scythes à qui
l'on avait
précédemment
confié la garde
des environs du
Palus-Maeotis,
et qui venait de
recevoir l'ordre
d'aller sur les
bords de l'Ister
pour s'aboucher
avec les Ioniens,
ne fut pas
plutôt arrivée
au pont que
ceux-ci avaient
jeté sur cette
rivière, qu'ils
leur parlèrent
en ces termes :
«Ioniens, nous
venons vous
apporter la
liberté, supposé
toutefois que
vous vouliez
nous écouter.
Nous avons en
effet appris que
Darius vous a
enjoint de
garder ce pont
durant soixante
jours seulement,
et que s'il
n'était pas de
retour dans cet
intervalle, vous
seriez les
maîtres de vous
retirer dans
votre patrie. En
exécutant cet
ordre, il n'aura
rien à vous
reprocher, et
nous n'aurons
aucun sujet de
plainte contre
vous. Puisque
vous êtes
demeurés le
nombre de jours
prescrit, que ne
retournez-vous
dans votre pays
?» Les Ioniens
ayant promis de
le faire, les
Scythes se
retirèrent en
diligence.
CXXXIV. Après
l'envoi des
présents, le
reste des
Scythes se mit
en ordre de
bataille
vis-à-vis des
Perses, tant
l'infanterie que
la cavalerie,
comme s'ils
avaient voulu en
venir aux mains.
Mais, tandis
qu'ils étaient
ainsi rangés en
bataille, un
lièvre se leva
entre les deux
armées. Ils ne
l'eurent pas
plutôt aperçu,
qu'ils le
poursuivirent en
jetant de grands
cris. Darius
demanda quelle
était la cause
de ce tumulte ;
et, sur ce qu'on
lui répondit que
les Scythes
couraient après
un lièvre, il
dit à ceux
d'entre les
Perses avec qui
il avait coutume
de s'entretenir
: «Ces hommes-ci
ont pour nous un
grand mépris.
L'interprétation
qu'a donnée
Gobryas de leurs
présents me
paraît
actuellement
juste. Mais,
puisque son
sentiment me
semble vrai, je
pense qu'il nous
faut un bon
conseil pour
sortir sains et
saufs de ce pas
dangereux. -
Seigneur,
répondit Gobryas,
je ne
connaissais
guère la
pauvreté de ces
peuples que par
ce qu'en
publiait la
renommée ; mais
depuis notre
arrivée je la
connais mieux,
en voyant de
quelle manière
ils se jouent de
nous. Ainsi je
suis d'avis
qu'aussitôt que
la nuit sera
venue, on allume
des feux dans le
camp, selon
notre coutume,
et qu'après
avoir engagé par
des propos
trompeurs la
partie de
l'armée la moins
propre aux
fatigues à y
rester, et
qu'après avoir
attaché ici tous
les ânes, nous
partions avant
que les Scythes
aillent droit à
l'Ister pour en
rompre le pont,
et avant que les
Ioniens prennent
une résolution
capable de nous
faire périr.»
CXXXV. Darius
suivit le
conseil de
Gobryas. Dès que
la nuit fut
venue, il laissa
dans le camp les
malades avec
ceux qu'il se
souciait le
moins de perdre.
Il y fit aussi
attacher tous
les ânes, afin
que leurs cris
se fissent
entendre. Quant
aux hommes, il
les y laissait
sous prétexte de
garder le camp,
tandis qu'avec
la fleur de ses
troupes il irait
en personne
attaquer
l'ennemi, mais,
en effet, parce
qu'ils étaient
faibles ou
malades. Ayant
persuadé ces
malheureux, il
fit allumer des
feux, et marcha
en grande
diligence vers
l'Ister. Les
ânes, se voyant
dans une espèce.
de solitude, se
mirent à braire
beaucoup plus
fort
qu'auparavant.
Les Scythes,
entendant leurs
cris, crurent
les Perses
toujours dans
leur camp.
CXXXVI. Quand le
jour parut, les
soldats que
Darius avait
abandonnés, se
voyant trahis,
tendirent les
mains aux
Scythes, et leur
dirent tout ce
que leur
situation put
leur suggérer.
Là-dessus les
deux parties des
Scythes, s'étant
réunies
promptement à la
troisième,
coururent après
les Perses droit
à l'Ister, avec
les Sauromates,
les Budins et
les Gélons. Mais
comme la plus
grande partie de
l'armée perse
consistait en
infanterie, et
qu'elle ne
savait pas les
chemins, parce
qu'il n'y en
avait pas de
tracés, et qu'au
contraire les
Scythes étaient
à cheval, et
qu'ils
connaissaient la
route la plus
courte, ils ne
purent se
rencontrer. Les
Scythes
arrivèrent au
pont de l'Ister
long-temps avant
les Perses ; et,
sachant qu'ils
n'étaient point
encore venus,
ils
s'adressèrent
ainsi aux
Ioniens, qui
étaient sur
leurs vaisseaux
:
«Ioniens,
le terme qui
vous a été
prescrit est
passé ; vous
avez tort de
rester plus
longtemps. Si la
crainte vous a
retenus jusqu'à
présent en ces
lieux, rompez
maintenant le
pont,
retirez-vous
promptement, et,
flattés d'avoir
recouvré votre
liberté, rendez-en
grâces aux dieux
et aux Scythes.
Quant à celui
qui était
auparavant votre
maître, nous
allons le
traiter de
manière qu'il ne
fera plus la
guerre à
personne.»
CXXXVII.
L'affaire mise
en délibération,
Miltiade
d'Athènes, qui
était
commandant, et
tyran de la
Chersonèse de
l'Hellespont,
fut d'avis de
suivre le
conseil des
Scythes, et de
rendre la
liberté à
l'Ionie; mais
Histiée, tyran
de Milet, s'y
opposa. Il
représenta
qu'ils ne
régnaient dans
leurs villes que
par Darius ; que
si la puissance
de ce prince
était détruite,
ils perdraient
leur autorité,
et que lui-même
ne pourrait plus
conserver la
sienne dans
Milet, ni les
autres la leur
dans leurs États,
les villes
préférant toutes
la démocratie à
la tyrannie.
Tous ceux qui
avaient d'abord
été de l'avis de
Miltiade
revinrent
aussitôt à celui
d'Histiée.
CXXXVIII. Ceux
qui furent de
cette opinion
étaient en
grande estime
auprès du roi.
Parmi les tyrans
de l'Hellespont,
il y avait
Daphnis d'Abydos,
Hippoclus de
Lampsaque,
Hérophante de
Parium,
Métrodore de
Proconnèse,
Aristagoras de
Cyzique, Ariston
de Byzance ;
ceux de l'Ionie
étaient Strattis
de Chios, Aeacès
de Samos,
Léodamas de
Phocée, Histiée
de Milet, qui
fut d'un avis
contraire à
celui de
Miltiade.
Aristagoras de
Cyme fut le seul
homme
considérable qui
assistait à ce
conseil, du côté
des Éoliens.
CXXXIX. Le
sentiment
d'Histiée ayant
été approuvé, on
ajouta qu'on
romprait, de la
longueur de la
portée d'un
trait,
l'extrémité du
pont du côté de
la Scythie, afin
de montrer aux
Scythes qu'on
voulait, en
quelque sorte,
les obliger,
quoique dans le
fond on n'en fit
rien, et de
crainte que les
Scythes ne
voulussent,
malgré eux,
passer l'Ister
sur le pont. Il
fut aussi réglé
qu'on leur
enverrait dire
qu'en rompant la
partie du pont
qui aboutissait
à leur pays, on
avait dessein de
leur donner une
entière
satisfaction.
Après quoi
Histiée répondit
aux Scythes, au
nom du conseil :
«Scythes, votre
avis est
salutaire, et
vous nous
pressez fort à
propos. Comme
vous nous
montrez la vraie
route que nous
devons suivre,
nous vous ferons
voir aussi » que
nous sommes
disposés à vous
servir : nous
rompons en effet
le pont, comme
vous le voyez,
et nous nous
porterons avec
ardeur à
recouvrer notre
liberté. Pour
vous, pendant
que nous sommes
occupés à
détruire ce pont,
il est à propos
que vous alliez
chercher les
Perses, et
qu'après les
avoir trouvés,
vous nous
vengiez, en vous
vengeant
vous-mêmes comme
il convient.»
CXL. Les
Scythes, se
fiant pour la
seconde fois aux
Ioniens,
rebroussèrent
chemin pour
aller chercher
les Perses ;
mais ils prirent
une autre route,
et les
manquèrent. Ce
fut leur faute,
puisqu'ils
avaient détruit
les foins, et
bouché les
fontaines de ce
côté. Sans ce
dégât, il leur
aurait été aisé
de trouver les
Perses, s'ils
l'eussent voulu.
Le parti qu'ils
avaient cru le
plus avantageux
fut alors cause
de leur méprise.
Ils cherchèrent
l'ennemi dans
les cantons de
la Scythie où il
y avait de l'eau
et des fourrages
pour les chevaux,
persuadés qu'il
s'enfuyait de ce
côté. Mais les
Perses suivaient
l'ancienne route
qu'ils avaient
observée ; et
cependant ils
eurent bien de
la peine à
gagner l'endroit
où ils avaient
traversé le
fleuve. Y étant
arrivés de nuit,
et trouvant le
pont rompu, ils
craignirent que
les Ioniens ne
les eussent
abandonnés.
CXLI. Darius
avait dans son
armée un
Égyptien d'une
voix extrêmement
sonore ; il lui
commanda de se
tenir sur les
bords de l'Ister,
et d'appeler
Histiée de Milet.
Aux premiers
cris de
l'Égyptien,
Histiée mit sur-le-champ
tous les
vaisseaux en
état de passer
l'armée, et
rétablit le pont.
CXLII. Les
Perses
échappèrent par
ce moyen ; et
les Scythes, qui
les cherchaient,
les manquèrent
pour la seconde
fois. C'est à
cette occasion
que ceux-ci
disent des
Ioniens qu'à les
considérer comme
libres, ce sont
les plus vils et
les plus lâches
de tous les
hommes ; et que
si on les
envisage comme
esclaves, ce
sont les
esclaves les
plus attachés à
leurs maîtres,
et les moins
capables de
s'enfuir. Tels
sont les traits
que lancent les
Scythes contre
les Ioniens.
CXLIII. Darius
traversa la
Thrace, et
arriva à Sestos
dans la
Chersonèse, où
il s'embarqua
pour passer en
Asie. Il nomma
Mégabyse, Perse
de naissance,
général des
troupes qu'il,
laissait en
Europe. Le
discours que
tint un jour ce
prince, en
présence de
toute sa cour,
est bien
honorable pour
ce seigneur.
Comme il se
disposait à
manger des
grenades, à la
première qu'il
ouvrit, Artabane,
son frère, lui
demanda quelle
chose il
désirerait avoir
en aussi grande
quantité qu'il y
avait de grains
dans cette
grenade. Darius
répondit qu'il
aimerait mieux
avoir autant de
Mégabyses que de
voir la Grèce
sous son
obéissance. Tel
fut le
témoignage
honorable que
lui rendit ce
prince parmi les
Perses ; mais
alors il lui
donna des
marques de sa
con-fiance, en
le laissant en
Europe avec
quatre-vingt
mille hommes
sous ses ordres.
CXLIV. Un mot de
ce Mégabyse a
rendu son nom
immortel parmi
les habitants de
l'Hellespont.
Étant à Byzance,
il apprit que
les
Chalcédoniens
avaient bâti
leur ville
dix-sept ans
avant que les
Byzantins
eussent fondé la
leur. Là-dessus,
il dit qu'ils
étaient sans
doute alors
aveugles,
puisque, sans
cela, ils
n'auraient pas
choisi pour leur
ville une
situation
désagréable,
lorsqu'il s'en
présentait une
plus belle. Ce
général subjugua,
avec les troupes
que lui avait
laissées Darius,
tous les peuples
de l'Hellespont
qui n'étaient
pas les amis des
Mèdes.
CXLV. Il y eut,
vers le même
temps, une
expédition
considérable en
Libye, dont je
dirai le sujet ;
mais il est à
propos de
raconter
auparavant
quelques faits
nécessaires pour
le bien
entendre.
Les descendants
des Argonautes
ayant été
chassés de l'île
de Lemnos par
les Pélasges,
qui avaient
enlevé de
Brauron les
femmes des
Athéniens,
firent voile à
Lacédémone. Ils
campèrent sur le
mont Taygète, où
ils allumèrent
du feu. Les
Lacédémoniens,
les ayant
aperçus, leur
envoyèrent
demander qui ils
étaient, et d'où
ils venaient.
Ils répondirent
qu'ils étaient
Minyens, et les
descendants de
ces héros qui
s'étaient
embarqués sur le
navire Argo, et
qui étaient
abordés à
Lemnos, où ils
leur avaient
donné naissance.
Sur ce rapport
de l'origine des
Minyens, les
Lacédémoniens
envoyèrent une
seconde fois
leur demander à
quel dessein ils
venaient dans
leur pays, et
par quelle
raison ils
avaient allumé
du feu. Les
Minyens
répondirent
qu'ayant été
chassés par les
Pélasges, ils
venaient chez
leurs pères,
comme cela était
juste, et qu'ils
priaient les
Lacédémoniens de
les recevoir
chez eux, et de
leur faire part
non seulement de
leurs terres,
mais encore des
honneurs et des
dignités de
l'État. Les
Lacédémoniens
furent d'avis de
les recevoir aux
conditions
qu'ils
proposaient. Ce
qui les y
détermina
principalement
fut que les
Tyndarides
(Castor et
Pollux) avaient
été de
l'expédition des
Argonautes. Ils
reçurent donc
les Minyens,
leur donnèrent
des terres, et
les
distribuèrent
parmi leurs
tribus. Ceux-ci
se marièrent
aussitôt, et
donnèrent à
d'autres les
femmes qu'ils
avaient amenées
de Lemnos.
CXLVI. Peu de
temps après, les
Minyens
montrèrent tout
à coup leur
insolence, en
voulant avoir
part à la
royauté, et en
faisant
plusieurs autres
actions
contraires aux
lois. Les
Lacédémoniens
résolurent de
les faire mourir
; en
conséquence, ils
furent arrêtés
et mis en
prison. A
Lacédémone, les
exécutions se
font la nuit, et
jamais de jour.
Lors donc qu'on
était sur le
point de les
faire mourir,
leurs femmes,
qui étaient
Spartiates et
filles des
premiers de la
ville,
demandèrent la
permission
d'entrer dans la
prison, pour
parler à leurs
maris. Comme on
ne les
soupçonnait
d'aucun
artifice, cette
permission leur
fut accordée.
Elles ne furent
pas plutôt
entrées,
qu'elles
donnèrent leurs
habits à leurs
maris, et se
revêtirent des
leurs. Les
Minyens, ayant
pris les habits
de leurs femmes,
sortirent à la
faveur de ce
déguisement, et,
s'étant échappés
de la sorte, ils
retournèrent au
mont Taygète.
CXLVII. Vers ce
même temps,
Théras partit de
Lacédémone pour
aller fonder une
colonie.
Autésion, son
père, était fils
de Tisamène,
petit-fils de
Thersandre, et
arrière-petit-fils
de Polynice. Il
était de la race
de Cadmos, et
oncle maternel
d'Eurysthène et
de Proclès, tons
deux fils
d'Aristodémus.
Comme ceux-ci
étaient encore
enfants, il eut,
pendant leur
minorité, la
régence du
royaume. Mais,
quand ils furent
devenus grands,
ils gouvernèrent
par eux-mêmes.
Théras, affligé
d'obéir, après
avoir goûté les
douceurs du
commandement,
déclara qu'il ne
resterait point
à Lacédémone, et
qu'il
s'embarquerait
pour aller
joindre ses
parents.
Les descendants
de Membliarès,
fils de Poeciles,
Phénicien,
demeuraient dans
l’île qu'on
nomme
aujourd'hui
Théra, et qui
s'appelait
autrefois
Calliste.
Cadmus, fils
d'Agenor, était
abordé à cette
île en cherchant
Europe ; et,
soit que le pays
lui plût, ou par
quelque autre
raison, il y
laissa plusieurs
Phéniciens avec
Membliarès, l'un
de ses parents.
Ils l'habitèrent
pendant huit
générations
avant que Théras
vînt de
Lacédémone dans
cette île, alors
connue sous le
nom de Calliste.
CXLVIII. Théras
partit de Sparte
pour cette île
avec grand
nombre de
Lacédémoniens
qu'on tira des
tribus. Son
intention
n'était pas d'en
chasser les
anciens
habitants, mais
d'y demeurer
avec eux dans
l'union la plus
étroite. Les
Lacédémoniens
persistaient
toujours dans la
résolution de
faire mourir les
Minyens, qui,
après s'être
échappés des
prisons, étaient
campés sur le
mont Taygète.
Théras sollicita
leur grâce, et
s'engagea à les
faire sortir du
pays. Elle lui
fut accordée;
et, ayant mis à
la voile avec
trois vaisseaux
à trente rames,
il se rendit
chez les
descendants de
Membliarès. Il
n'emmena avec
lui qu'une
petite partie
des Minyens ;
les autres, en
beaucoup plus
grand nombre,
chassèrent les
Paroréates et
les Caucons de
leur pays ; et,
s'étant partagés
en six corps,
ils y bâtirent
six villes :
Lépréum,
Macistos,
Phrixes, Pyrgos,
Epium et Nudium,
qui ont été la
plupart
détruites de mon
temps par les
Eléens. Quant à
l’île de
Calliste, elle
s'appela Théra,
du nom de son
fondateur.
CXLIX. Son fils
refusant de
s'embarquer avec
lui, Théras dit
qu'il le
laisserait comme
une brebis parmi
les loups. Ce
propos fit
donner à ce
jeune homme le
non d'Oiolycus,
qui prévalut sur
celui qu'il
avait auparavant.
Oiolycus eut un
fils appelé Égée.
Les Égides,
tribu
considérable à
Sparte, tirent
de lui leur nom.
Ceux de cette
tribu, voyant
qu'ils ne
pouvaient
conserver
d'enfants,
bâtirent, sur la
réponse d'un
oracle, un
temple aux
Furies de Laïus
et d'Oedipe; et,
depuis ce temps,
ils ne perdirent
plus leurs
enfants.
Pareille chose
arriva dans
l'île de Théra à
leurs
descendants.
CL. Jusqu'ici
les
Lacédémoniens
s'accordent avec
les habitants de
Théra ; mais
ceux-ci sont les
seuls qui
racontent la
suite de la
manière que je
vais dire.
Grinus, fils
d'Aesanius,
descendant de ce
Théras, et roi
de l'île de
Théra, alla à
Delphes pour y
offrir une
hécatombe. Il
était accompagné
de plusieurs
habitants de
cette île, et
entre autres de
Battus, fils de
Polymneste, de
la race
d'Euphémus, l'un
des Minyens. Ce
prince
consultant
l'oracle sur
quelque chose,
la Pythie lui
répondit de
fonder une ville
en Libye. «Roi
Apollon,
répliqua Grinus,
je suis vieux et
courbé sous le
poids de ans :
chargez plutôt
de cette
entreprise
quelqu'un de ces
jeunes gens qui
sont venus avec
moi ;» et, en
disant cela, il
montrait Battus.
Les Théréens, de
retour dans leur
île, n'eurent
aucun égard pour
la réponse de
l'oracle, ne
sachant point où
était la Libye,
et n'osant pas
envoyer une
colonie dans une
pareille
incertitude.
CLI. On fut
ensuite sept ans
à Théra sans
qu'il y plût, et
tous les arbres
y périrent de
sécheresse,
excepté un seul.
LesThéréens
ayant consulté
l'oracle, la
Pythie leur
reprocha de
n'avoir point
envoyé en Libye
la colonie
qu'elle leur
avait ordonné
d'y envoyer.
Comme ils ne
voyaient pas de
remèdes à leurs
maux, ils
députèrent en
Crète, pour
s'informer s'il
n'y avait pas
quelque Crétois
ou quelque
étranger qui eût
voyagé en Libye.
Leurs envoyés
parcoururent
l'île, et, étant
arrivés à la
ville d'Itanos,
ils y firent
connaissance
avec un
teinturier en
pourpre, nommé
Corobius, qui
leur dit qu'il
avait été poussé
par un vent,
violent à l'île
de Platée en
Libye. Une
récompense
qu'ils lui
donnèrent le
détermina à les
accompagner à
Théra. On ne fit
partir d'abord
qu'un petit
nombre de
citoyens pour
examiner les
lieux. Corobius
leur servit de
guide. Lorsqu'il
les eut conduits
à l'île de
Platée, ils l'y
laissèrent avec
des vivres pour
quelques mois,
et, s'étant
remis en mer,
ils vinrent en
diligence faire
leur rapport aux
Théréens au
sujet de cette
île.
CLII. Comme ils
furent plus
longtemps
absents qu'ils
n'en étaient
convenus,
Corobius se
trouva dans une
très grande
disette. Mais un
vaisseau de
Samos qui allait
en Égypte, et
dont le patron
s'appelait
Colaeus, étant
abordé à Platée,
les Samiens
apprirent de
Corobius quelle
était sa
situation. Ils
lui laissèrent
des vivres pour
un an ; et,
comme ils
désiraient
passionnément de
se rendre en
Égypte, ils
remirent à la
voile par un
vent d'est. Mais,
ce vent ne
discontinuant
point, ils
passèrent les
colonnes
d'Hercule, et
arrivèrent à
Tartessus, sous
la conduite de
quelque dieu.
Comme ce port
n'avait point
été jusqu'alors
fréquenté, ils
firent, à leur
retour, le plus
grand profit sur
leurs
marchandises
qu'aucun Grec
que nous
connaissions ait
jamais fait, si
du moins l'on
excepte Sostrate
d'Égine, fils de
Léodamas, avec
qui personne ne
peut entrer en
comparaison. Les
Samiens ayant
mis à part six
talents, qui
étaient le
dixième de leur
gain, en tirent
faire un vase
d'airain en
forme de cratère
argolique,
autour duquel on
voit des têtes
de griffons
l'une vis-à-vis
de l'autre. Ils
en firent
présent au
temple de Junon
(à Samos), où il
est soutenu par
trois colosses
d'airain, de
sept coudées de
haut, appuyés
sur les genoux.
L'action de
Colaeus fut le
principe de la
grande amitié
que les
Cyrénéens et les
Théréens ont
contractée avec
les Samiens.
CLIII. Les
Théréens, ayant
laissé Corobius
dans l'île,
dirent, à leur
retour à Théra,
qu'ils avaient
commencé une
habitation dans
une île
attenante à la
Libye. Là-dessus
il fut résolu
que de tous
leurs cantons,
qui étaient au
nombre de sept,
on enverrait des
hommes, que les
frères
tireraient au
sort, et que
Battus serait
leur chef et
leur roi. En
conséquence de
cette résolution,
on envoya à
Platée deux
vaisseaux de
cinquante rames
chacun. Telle
est la manière
dont les
Théréens
racontent cette
histoire.
CLIV. Les
Cyrénéens sont
d'accord avec
eux en tout,
excepté en ce
qui concerne
Battus. Voici de
quelle manière
ils le
rapportent.
Étéarque, roi de
la ville d'Axus,
en Crète, ayant
perdu sa femme,
dont il avait
une fille nommée
Phronime, en
épousa une autre,
qui ne fut pas
plutôt entrée
dans sa maison,
qu'elle fit voir
par ses actions
qu'elle était
une vraie
marâtre. Il n'y
eut rien en
effet qu'elle
n'imaginât pour
faire maltraiter
cette princesse
; enfin elle
l'accusa de
s'être
abandonnée à un
homme, et
parvint à le
faire croire à
son mari.
Étéarque,
persuadé par
cette femme, se
porta contre sa
fille à une
action odieuse.
Il y avait alors
à Axus un
marchand de
Théra, nommé
Thémison. Ce
prince le manda,
et, ayant
contracté avec
lui
l'hospitalité,
il lui fit
promettre avec
serment de lui
prêter son
ministère dans
toutes les
choses où il
aurait besoin de
lui. Le serment
exigé, il lui
remit sa fille
entre les mains,
et lui dit de
l'emmener, et de
la jeter dans la
mer. Thémison,
fâché qu'on lui
eût fait faire
un serment pour
le tromper,
renonça à
l'amitié
d'Etearque. Il
remit à la voile
avec la
princesse ; et,
quand il fut en
pleine mer, il
l'attacha avec
des cordes, et,
pour s'acquitter
de son serment,
il la descendit
dans la mer ;
mais il l'en
retira, et la
mena dans l'île
de Théra.
CLV. Lorsqu'elle
y fut arrivée,
Polymnestus,
homme distingué,
la prit pour
concubine. Il en
eut, au bout
d'un certain
temps, un fils
qui bégayait et
grasseyait. Cet
enfant fut
appelé Battus,
suivant les
Théréens et les
Cyrénéens ; mais
je pense qu'il
eut un autre
nom, et qu'après
son arrivée en
Libye il fut
ainsi surnommé,
tant à cause de
la réponse qu'il
avait reçue de
l'oracle de
Delphes, que par
rapport à sa
dignité : car
Battus signifie
roi dans la
langue des
Libyens ; et ce
fut, à mon avis,
par cette raison
que la Pythie,
sachant qu'il
devait régner en
Libye, lui donna
dans sa réponse
un nom libyen.
En effet,
lorsqu'il fut
parvenu à l'âge
viril, étant
allé à Delphes
pour consulter
l'oracle sur le
défaut de sa
langue, la
Pythie lui
répondit : «Battus,
tu viens ici au
sujet de ta voix
: mais Apollon
t'ordonne
d'établir une
colonie dans la
Libye, féconde
en bêtes à laine.»
C'est comme si
elle eût dit en
grec : «Ô roi,
tu viens au
sujet de ta voix.»
Battus lui
répondit : «Roi,
je suis venu
vous consulter
sur le défaut de
ma langue ; mais
vous me
commandez des
choses
impossibles, en
m'envoyant
établir une
colonie en Libye.
Avec quelles
troupes, avec
quelles forces
puis-je exécuter
un tel projet ?»
Malgré ces
raisons, il ne
put engager la
Pythie à lui
parler autrement.
Voyant donc que
l'oracle
persistait dans
sa réponse, il
quitta Delphes,
et retourna à
Théra.
CLVI. Mais dans
la suite il lui
arriva beaucoup
de malheurs,
ainsi qu'aux
autres habitants
de l'île. Comme
ils en
ignoraient la
cause, ils
envoyèrent à
Delphes
consulter
l'oracle sur
leurs maux
actuels. La
Pythie leur
répondit qu'ils
seraient plus
heureux s'ils
fondaient, avec
Battus, la ville
de Cyrène en
Libye. Sur cette
réponse, ils
firent partir
Battus avec deux
vaisseaux à
cinquante rames.
Battus et ceux
qui
l'accompagnaient,
forcés par la
nécessité,
firent voile en
Libye ; mais ils
revinrent à
l'île de Théra.
Les Théréens les
attaquèrent
lorsqu'ils
voulurent
descendre à
terre, et, ne
leur permettant
point d'aborder,
ils leur
ordonnèrent de
retourner à
l'endroit d'où
ils venaient.
Contraints
d'obéir, ils
reprirent la
même route, et
s'établirent
dans une île
attenante à
Libye. Cette.
île, comme il a
été dit
ci-dessus,
s'appelle Platée
: on assure
qu'elle est de
la grandeur de
la ville
actuelle des
Cyrénéens.
CLVII. Les
Théréens
restèrent deux
ans dans l'île
de Platée ; mais
comme rien ne
leur prospérait,
ils y laissèrent
l'un d'entre eux,
et le reste se
rembarqua pour
aller à Delphes.
Quand ils y
furent arrivés,
ils dirent à la
Pythie qu'ils
s'étaient
établis en Libye,
et que cependant
ils n'en étaient
pas plus heureux.
La Pythie leur
répondit : «J'admire
ton habileté ;
tu n'as jamais
été en Libye, et
tu» prétends
connaître ce
pays mieux que
moi, qui y ai
été. » Sur cette
réponse, Battus
retourna avec
ceux de sa suite
: car le dieu ne
les tenait pas
quittes de la
colonie, qu'ils
n'eussent été
dans la Libye
même. De retour
à Platée, ils
prirent celui
d'entre ceux
qu'ils y avaient
laissé, et
s'établirent
dans la Libye,
vis-à-vis de
l'île, à Aziris,
lieu charmant,
environné de
deux côtés par
des collines
agréables
couvertes
d'arbres, et,
d'un autre côté,
arrosé par une
rivière.
CLVIII. Ils
demeurèrent six
années à Aziris
; mais la
septième ils se
laissèrent
persuader d'en
sortir, sur les
vives instances
des Libyens, et
sur la promesse
qu'ils leur
tirent de les
mener dans un
meilleur canton.
Les Libyens,
leur ayant fait
quitter cette
habitation, les
conduisirent
vers le couchant
; et, de crainte
qu'en passant
par le plus beau
des pays les
Grecs ne s'en
aperçussent, ils
proportionnèrent
tellement leur
marche à la
durée du jour,
qu'ils le leur
firent traverser
pendant la nuit.
Ce beau pays
s'appelle Irasa.
Quand ils les
eurent conduits
à une fontaine
qu'on prétend
consacrée à
Apollon : «Grecs,
leur dirent-ils,
la commodité du
lieu vous invite
à fixer ici
votre demeure :
le ciel y est
ouvert pour vous
donner les
pluies qui
rendront vos
terres fécondes.»
CLIX. Sous
Battus, le
fondateur, dont
le règne fut de
quarante ans, et
sous Arcésilas
son fils, qui en
régna seize, les
Cyrénéens ne se
trouvèrent pas
en plus grand
nombre qu'au
commencement de
la colonie. Mais
sous Battus,
leur troisième
roi, surnommé
l'Heureux, la
Pythie, par ses
oracles, excita
tous les Grecs à
s'embarquer pour
aller habiter la
Libye avec les
Cyrénéens, qui
les invitaient à
venir partager
leurs terres.
Cet oracle était
conçu en ces
termes : «Celui
qui n'ira dans
la fertile Libye
qu'après le
partage des
terres aura un
jour sujet de
s'en repentir.»
Les Grecs,
s'étant rendus à
Cyrène en grand
nombre,
s'emparèrent
d'un canton
considérable.
Les Libyens
leurs voisins,
et Adicran leur
roi, se voyant
insultés et
dépouillés de
leurs terres par
les Cyrénéens,
eurent recours à
Apriès, roi
d'Égypte, et se
soumirent à lui.
Ce prince envoya
contre Cyrène
des forces
considérables.
Les Cyrénéens
s'étant rangés
en bataille à
Irasa, et près
de la fontaine
de Thesté, en
vinrent aux
mains, et les
défirent. Les
Égyptiens, qui
ne s'étaient pas
auparavant
essayés dans les
combats contre
les Grecs, les
méprisaient ;
mais ils furent
tellement battus,
qu'il n'en
retourna en
Égypte qu'un
très petit
nombre. Le
peuple fut, à ce
sujet, si irrité
contre Apriès,
qu'il se révolta.
CLX. Arcésilas,
fils de Battus,
régna après son
père. Ce prince
eut, aussitôt
après son
avènement au
trône, quelques
différends avec
ses frères ;
mais enfin ils
quittèrent le
pays, et
passèrent dans
un autre canton
de la Libye.
Ayant délibéré
entre eux sur ce
qu'ils avaient à
faire, ils
bâtirent une
ville qu'ils
appelèrent Barcé,
nom qu'elle
porte encore
aujourd'hui.
Pendant qu'ils
étaient occupés
à la construire,
ils soulevèrent
les Libyens
contre les
Cyrénéens.
Arcésilas marcha
contre les
révoltés, et
contre ceux des
Libyens qui les
avaient reçus.
Les Libyens, qui
le redoutaient,
s'enfuirent chez
les Libyens
orientaux.
Arcélisas les
poursuivit ; et,
les ayant
atteints à
Leucon en Libye,
ils résolurent
de lui livrer
bataille. On en
vint aux mains,
et la victoire
se déclara
tellement en
leur faveur,
qu'il demeura
sur la place, du
côté des
Cyrénéens, sept
mille hommes
pesamment armés.
Après cet échec,
Arcésilas tomba
malade ; et,
ayant pris
médecine, il fut
étranglé par son
frère Léarque.
Mais Éryxo,
appelant la ruse
à son secours,
fit périr le
meurtrier de son
mari.
CLXI. Son fils
Battus lui
succéda : il
était boiteux,
et ne se tenait
pas ferme sur
ses pieds. Les
Cyrénéens,
extrêmement
affligés de
leurs pertes,
envoyèrent à
Delphes demander
à l'oracle
quelle forme de
gouvernement ils
devaient établir
pour vivre plus
heureux. La
Pythie leur
ordonna de faire
venir de
Mantinée, en
Arcadie,
quelqu'un qui
pût rétablir
parmi eux la
paix et la
concorde. Les
Cyrénéens
s'étant adressés
aux Mantinéens,
ceux-ci leur
donnèrent un
homme des plus
estimés de leur
ville, nommé
Démonax, qui se
rendit avec eux
à Cyrène.
Lorsqu'il se fut
instruit de
l'état des
affaires, il
partagea les
Cyrénéens en
trois tribus,
dont une
comprenait les
Théréens et
leurs voisins,
l'autre les
Péloponnésiens
et les Crétois,
et la troisième
tous les
insulaires.
Enfin, on mit en
réserve, pour
Battus, de
certaines
portions de
terre avec les
sacrificatures,
et on rendit au
peuple toutes
les autres
prérogatives
dont les rois
avaient joui
jusqu'alors.
CLXII. Ces
règlements
subsistèrent
sous le règne de
Battus ; mais,
sous celui de
son fils, il
s'éleva de
grands troubles
au sujet des
honneurs. En
effet, Arcélisas,
fils de Battus
le boiteux et de
Phérétime,
déclara qu'il ne
souffrirait
point que les
lois de Démonax
subsistassent
plus longtemps,
et redemanda les
prérogatives
dont avaient
joui ses
ancêtres.
Arcésilas excita
des troubles à
ce sujet ; mais,
son parti ayant
eu du dessous,
il s'enfuit à
Samos, et
Phérétime, sa
mère, à Salamine
en Chypre.
Salamine était,
en ce temps-là,
gouvernée par
Évelthon, qui
consacra à
Delphes un très
bel encensoir,
qu'on voit dans
le trésor des
Corinthiens.
Phérétime, étant
arrivée à la
cour d'Évelthon,
lui demanda des
troupes pour se
rétablir à
Cyrène, elle et
son fils. Mais
ce prince lui
donnait plus
volontiers toute
autre chose
qu'une armée.
Phérétime
acceptait ses
présents, et les
trouvait très
beaux ; mais
elle ajoutait
qu'il lui serait
beaucoup plus
honorable de lui
accorder des
troupes. Comme
elle faisait
toujours la même
réponse à chaque
présent,
Évelthon lui
accorda enfin un
fuseau d'or,
avec une
quenouille
revêtue de laine,
et lui fit dire
que l'on faisait
aux femmes de
pareils présents,
mais qu'on ne
leur donnait pas
une armée.
CXLIII. Pendant
ce temps-là,
Arcésilas,
faisant espérer
le partage des
terres, assembla
à Samos, où il
était, une armée
nombreuse.
Lorsqu'elle fut
levée, il alla à
Delphes
consulter
l'oracle sur son
retour. La
Pythie lui
répondit : «Apollon
accorde à ta
famille la
domination de
Cyrène pour
quatre Battus et
quatre Arcélisas,
c'est -à-dire
pour huit
générations ;
mais il
t'exhorte à ne
rien tenter de
plus. Quant à
toi, Arcésilas,
il te conseille
de rester
tranquille quand
tu seras de
retour dans ta
patrie. Si tu
trouves un
fourneau plein
de vases de
terre, garde-toi
bien de les
faire cuire,
remets-les
plutôt à l'air ;
et si tu mets le
feu au fourneau,
n'entre pas dans
l'endroit
environné d'eau
; autrement tu
périras toi-même
avec le plus
beau des
taureaux.»
CLXIV. Arcésilas
retourna à
Cyrène avec les
troupes qu'il
avait levées à
Samos. Lorsqu'il
eut recouvré ses
États, il fit
faire, sans
aucun égard pour
l'oracle, le
procès à ceux
qui s'étaient
soulevés contre
lui, et qui
l'avaient obligé
à prendre la
fuite. Les uns
sortirent de
leur patrie pour
n'y jamais
revenir ;
d'autres, ayant
été arrêtés,
furent envoyés
en Chypre pour y
être punis de
mort ; mais les
Cnidiens, chez
qui ils
abordèrent, les
délivrèrent, et
les envoyèrent à
l'île de Théra.
Quelques autres,
enfin, se
réfugièrent dans
une grande tour
qui appartenait
à un particulier
nommé Aglomachus.
Arcésilas, ayant
fait entasser du
bois à l'entour,
y mit le feu, et
la brûla. Ce
crime commis, il
reconnut le sens
de l'oracle, qui
lui avait
défendu, par
l'organe de la
Pythie, de faire
cuire les vases
de terre qu'il
trouverait dans
le fourneau.
Dans la crainte
donc d'être tué,
suivant la
prédiction de
l'oracle, il
s'éloigna
volontairement
de Cyrène,
s'imaginant que
cette ville
était la place
entourée d'eau
de tous côtés
que la Pythie
lui avait
recommandé
d'éviter. Il
avait épousé une
de ses parentes,
fille d'Alazir,
roi des Barcéens.
Il se réfugia
chez ce prince ;
mais des
Barcéens et
quelques
fugitifs de
Cyrène, l'ayant
aperçu dans la
place publique,
le tuèrent, et
avec lui Alazir
son beau-père.
Ce fut ainsi
qu'Arcésilas
remplit sa
destinée, et
qu'il périt pour
avoir désobéi à
l'oracle,
volontairement
ou
involontairement.
CLXV. Tandis
qu'Arcésilas
travaillait dans
Barcé à son
propre malheur,
Phérétime sa
mère jouissait à
Cyrène des
honneurs de son
fils ; et, entre
autres
prérogatives,
elle assistait
aux
délibérations du
sénat. Mais, dès
qu'elle eut
connaissance
qu'il avait été
tué en cette
ville, elle
s'enfuit en
Égypte, parce
qu'Arcélisas
avait autrefois
rendu quelques
services à
Cambyse, fils de
Cyrus, en lui
livrant Cyrène
et en lui payant
tribut. Arrivée
dans ce pays,
elle supplia
Aryandès de la
venger, sous
prétexte que son
fils n'avait été
assassiné que
parce qu'il
favorisait le
parti des Mèdes.
CLXVI. Aryandès
avait été établi
gouverneur
d'Égypte par
Cambyse. Dans la
suite, il fut
puni de mort,
pour avoir voulu
s'égaler en
quelque sorte à
Darius. Ayant en
effet appris et
ayant vu par
lui-même que ce
prince avait
envie de laisser,
pour monument de
son règne,
quelque chose
que les autres
rois n'eussent
point encore
exécuté, il
marcha sur ses
traces jusqu'à
ce qu'il eût
reçu la
récompense qu'il
méritait. Darius
avait fait
battre de la
monnaie de l'or
le plus pur.
Aryandès,
gouverneur
d'Égypte, fit
frapper de son
côté des
monnaies
d'argent qu'on
appelle
aryandiques :
elles sont
encore
aujourd'hui
regardées comme
étant d'un
argent
extrêmement fin.
Darius, en ayant
été instruit,
l'accusa de
rébellion, et le
fit mourir sous
ce prétexte.
CLXVII. Aryandès
eut compassion
de Phérétime ;
il lui donna une
armée composée
de toutes les
forces d'Égypte,
tant de terre
que de mer. Les
troupes de terre
étaient
commandées par
Amasis, qui
était Maraphien,
et celles de mer
par Badrès,
Pasagarde
d'extraction.
Mais, avant de
les faire partir,
il envoya un
héraut à Barcé,
pour s'informer
de celui-qui
avait été le
meurtrier
d'Arcésilas. les
Barcéens prirent
tous cet
assassinat sur
eux ; car ce
prince leur
avait fait
beaucoup de mal.
Sur cette
réponse,
Aryandès envoya
l'armée avec
Phérétime.
CLXVIII. Cette
cause était le
prétexte dont
Aryandès
cherchait à
colorer son
expédition
contre les
Libyens, qu'il
avait, à mon
avis, dessein de
subjuguer. La
Libye renferme
beaucoup de
nations
différentes. Il
y en avait peu
qui fussent
soumises au roi,
et la plupart ne
tenaient aucun
compte de
Darius. Voici
l'ordre dans
lequel on trouve
les peuples de
la Libye, à
commencer depuis
l'Égypte.
Les premiers
qu'on rencontre
sont des
Adyrmachides.
Ils ont presque
les mêmes usages
que les
Égyptiens, mais
ils s'habillent
comme le reste
des Libyens.
Leurs femmes
portent à chaque
jambe un anneau
de cuivre, et
laissent croître
leurs cheveux :
si elles sont
mordues par un
pou, elles le
prennent, le
mordent à leur
tour, et le
jettent ensuite.
Ces peuples sont
les seuls
Libyens qui
aient cette
coutume ; ils
sont aussi les
seuls qui
présentent leurs
filles au roi
lorsqu'elles
vont se marier.
Celle qui lui
plaît ne s'en
retourne
qu'après qu'il
en a joui. Cette
nation s'étend
depuis l'Égypte
jusqu'à un port
appelé Plunos.
CLXIX. Les
Giligammes
touchent aux
Adyrmachides :
ils habitent le
pays qui est
vers l'occident
jusqu'à l'île
Aphrodisias.
Dans cet
intervalle est
l'île de Platée,
où les Cyrénéens
envoyèrent une
colonie. Aziris,
où ils
s'établirent
aussi, est sur
le continent,
ainsi que le
port de Ménélas.
C'est là qu'on
commence à
trouver le
silphium. Le
pays où croît
cette plante
s'étend dans
l'île de Platée
jusqu'à
l'embouchure de
la Syrte. Ces
peuples ont
presque les
mêmes coutumes
que les autres.
CLXX.
Immédiatement
après les
Giligammes, on
trouve les
Asbystes, du
côté du couchant
: ils habitent
le pays au-dessus
de Cyrène ; mais
ils ne
s'étendent pas
jusqu'à la mer :
les côtes
maritimes sont
occupées par les
Cyrénéens. Les
chars à quatre
chevaux sont
beaucoup plus en
usage chez eux
que chez les
autres Libyens,
et ils
s'étudient à
imiter la
plupart des
coutumes des
Cyrénéens.
CLXXI. Les
Auschises sont à
l'occident des
Asbystes,
auxquels ils
confinent : ils
habitent au-dessus
de Barcé et
s'étendent
jusqu'à la mer,
près des
Évespérides. Les
Cabales
demeurent vers
le milieu du
pays des
Auschises leur
nation est peu
nombreuse ; elle
s'étend sur les
côtes de la mer
vers Tauchires,
ville du
territoire de
Barcé. Leurs
usages sont les
mêmes que ceux
des peuples qui
habitent au-dessus
de Cyrène.
CLXXII. Les pays
des Auschises
est borné à
l'ouest par
celui des
Nasamons, peuple
nombreux. En été,
les Nasamons
laissent leurs
troupeaux sur le
bord de la mer,
et montent à un
certain canton,
nommé Augiles,
pour y
recueillir en
automne les
dattes. Les
palmiers y
croissent en
abondance, y
viennent très
beaux, et
portent tous du
fruit. Les
Nasamons vont à
la chasse des
sauterelles, les
font sécher au
soleil, et, les
ayant réduites
en poudre, ils
mêlent cette
poudre avec du
lait, qu'ils
boivent ensuite.
Ils ont coutume
d'avoir chacun
plusieurs
femmes, et de
les voir
publiquement, à
peu près comme
les Massagètes,
après avoir
planté à terre
leur bâton.
Lorsqu'un
Nasamon se marie
pour la première
fois, la
première nuit de
ses noces, la
mariée accorde
ses faveurs à
tous les
convives, et
chacun lui fait
un présent qu'il
a apporté de sa
maison.Voici
leur manière de
faire des
serments et
d'exercer la
divination. Ils
mettent la main
sur le tombeau
des hommes qui
ont parmi eux la
réputation
d'avoir été les
plus justes et
les plus gens de
bien, et jurent
par eux. Pour
exercer la
divination, ils
vont aux
tombeaux de
leurs ancêtres ;
ils y font leurs
prières, et y
dorment ensuite.
Si, pendant leur
sommeil, ils ont
quelque songe,
ils en font
usage dans leur
conduite. Ils se
donnent
mutuellement la
foi en buvant
réciproquement
de la main l'un
de l'autre.
S'ils n'ont rien
de liquide, ils
ramassent à
terre de la
poussière, et la
lèchent.
CLXXIII. Les
Psylles sont
voisins des
Nasamons ; ils
périrent
autrefois de la
manière que je
vais dire. Le
vent du midi
avait de son
souffle desséché
leurs citernes :
car tout leur
pays était en
dedans de la
Syrte, et sans
eau.
Ayant tenu
conseil entre
eux, ils
résolurent, d'un
consentement
unanime, d'aller
faire la guerre
au vent du midi.
Je rapporte les
propos des
Libyens.
Lorsqu'ils
furent arrivés
dans les déserts
sablonneux, le
même vent,
soufflant avec
violence, les
ensevelit sous
des monceaux de
sable. Les
Psylles détruits,
les Nasamons
s'emparèrent de
leurs terres.
CLXXIV. Au-dessus
de ces peuples,
vers le midi,
dans un pays
rempli de bêtes
féroces, sont
les Garamantes,
qui fuient le
commerce et la
société de tous
les hommes : ils
n'ont aucune
sorte d'armes,
et ne savent pas
même se défendre.
CLXXV. Cette
nation habite
au-dessus des
Nasamons. Elle a
pour voisins les
Maces. Ceux-ci
sont à l'ouest
et le long de la
mer. Ils se
rasent de
manière qu'il
reste, sur le
haut de la tête,
une touffe de
cheveux. Ils y
parviennent en
laissant croître
leurs cheveux
sur le milieu de
la tête, et en
se rasant de
très près des
deux côtés.
Quand ils vont à
la guerre, ils
portent, pour
armes défensives,
des peaux
d'autruches. Le
Cinyps descend
de la colline
des Grâces,
traverse leur
pays, et se
jette dans la
mer. Cette
colline est
entièrement
couverte d'une
épaisse forêt ;
au lieu que le
reste de la
Libye, dont j'ai
parlé jusqu'ici,
est un pays où
l'on ne voit
point d'arbres :
de cette colline
à la mer il y a
deux cents
stades.
CLXXVI. Les
Gindanes
touchent aux
Maces. On dit
que leurs femmes
portent chacune,
autour de la
cheville du
pied, autant de
bandes de peaux
qu'elles ont vu
d'hommes ; celle
qui en a
davantage est la
plus estimée,
comme ayant été
aimée d'un plus
grand nombre
d'hommes.
CLXXVII. Les
Lotophages
habitent le
rivage de la mer,
qui est devant
le pays des
Gindanes. Ces
peuples ne
vivent que des
fruits du lotos
: ce fruit est à
peu près de la
grosseur de
celui du
lentisque, et
d'une douceur
pareille à celle
des dattes. Les
Lotophages en
font aussi du
vin.
CLXXVIII. Ils
confinent, le
long de la mer,
au Machlyes :
ceux-ci font
aussi usage du
lotos, mais
beaucoup moins
que les
Lotophages. Les
Machlyes
s'étendent
jusqu'au Triton,
fleuve
considérable qui
se jette dans un
grand lac nommé
Tritonis, où
l'on voit l'île
de Phia. On dit
qu'il avait été
prédit par les
oracles que les
Lacédémoniens
enverraient une
colonie dans
cette île : on
raconte le fait
de cette manière.
CLXXIX. Quand
Jason eut fait
construire, au
pied du mont
Pélion, le
navire Argo, et
qu'il y eut
embarqué une
hécatombe avec
un trépied
d'airain, il se
mit en mer, et
doubla le
Péloponnèse,
dans le dessein
d'aller à
Delphes.
Lorsqu'il fut
arrivé vers le
promontoire
Malée, il
s'éleva un vent
du nord qui le
jeta en Libye,
et il se trouva
dans les bas-fonds
du lac Tritonis
avant que
d'avoir
découvert la
terre. Ne
sachant comment
sortir de ce pas
dangereux, on
dit qu'un triton
lui apparut et
lui demanda son
trépied, lui
promettant de
lui montrer une
route sûre et de
le tirer de ce
péril. Jason y
ayant consenti,
le triton lui
montra le moyen
de sortir de ce
bas-fond il prit
ensuite le
trépied, le mit
dans son propre
temple, et,
s'asseyant
dessus, il
prédit à Jason
et aux siens
tout ce qui
devait leur
arriver. Il lui
annonça aussi
que, lorsque ce
trépied aurait
été enlevé par
quelqu'un des
descendants de
ceux qui étaient
dans le navire
Argo, il était
de toute
nécessité que
les Grecs
eussent cent
villes sur les
bords du lac
Tritonis. On
ajoute que les
Libyens voisins
du lac, ayant
appris cette
réponse de
l'oracle,
cachèrent le
trépied.
CLXXX.
Immédiatement
après les
Machlyes, on
trouve les
Auséens. Ces
deux nations
habitent auteur
du lac Tritonis
; mais elles
sont séparées
par le fleuve
Triton. Les
Machlyes
laissent croître
leurs cheveux
sur le derrière
de la tête, et
les Auséens sur
le devant. Dans
une fête que ces
peuples
célèbrent tous
les ans en
l'honneur de
Minerve, les
filles,
partagées en
deux troupes, se
battent les unes
contre les
autres à coups
de pierres et de
bâtons. Elles
disent que ces
rites ont été
institués par
leurs pères en
l'honneur de la
déesse née dans
leur pays, que
nous appelons
Minerve ; et
elles donnent le
nom de fausses
vierges à celles
qui meurent de
leurs blessures.
Mais, avant que
de cesser le
combat, elles
revêtent d'une
armure complète
à la grecque
celle qui, de
l'aveu de toutes,
s'est le plus
distinguée; et,
lui ayant mis
aussi sur la
tête un casque à
la corinthienne,
elles la font
monter sur un
char, et la
promènent autour
du lac. Je ne
sais de quelle
façon ils
armaient
autrefois leurs
filles, avant
que les Grecs
eussent établi
des colonies
autour d'eux. Je
pense cependant
que c'était à la
manière des
Égyptiens. Je
suis en effet
d'avis que le
bouclier et le
casque sont
venus d'Égypte
chez les Grecs.
Ils prétendent
que Minerve est
fille de Neptune
et de la nymphe
du lac Tritonis,
et qu'ayant eu
quelque sujet de
plainte contre
son père, elle
se donna à
Jupiter, qui
l'adopta pour sa
fille. Les
femmes sont en
commun chez ces
peuples ; elles
ne demeurent
point avec les
hommes, et
ceux-ci les
voient à la
manière des
bêtes. Les
enfants sont
élevés par leurs
mères : quand
ils sont grands,
on les mène à
l'assemblée que
les hommes
tiennent tous
les trois mois.
Celui à qui un
enfant ressemble
passe pour en
être le père.
CLXXXI. Tels
sont les peuples
nomades qui
habitent les
côtes maritimes
de la Libye. Au-dessus,
en avançant dans
le milieu des
terres, on
rencontre la
Libye remplie de
bêtes féroces,
au delà de
laquelle est une
élévation
sablonneuse, qui
s'étend depuis
Thèbes en Égypte,
jusqu'aux
colonnes
d'Hercule. On
trouve dans ce
pays sablonneux,
environ de dix
journées en dix
journées, de
gros quartiers
de sel sur des
collines. Du
haut de chacune
de ces collines,
on voit jaillir,
au milieu du sel,
une eau fraîche
et douce. Autour
de cette eau on
trouve des
habitants, qui
sont les
derniers du côté
des déserts, et
au-dessus de la
Libye sauvage.
Les premiers
qu'on y
rencontre, en
venant de Thèbes,
sont les
Ammoniens, à dix
journées de
cette ville. Ils
ont un temple
avec des rites
qu'ils ont
empruntés de
celui de Jupiter
Thébéen. Il y a
en effet à
Thèbes, comme je
l'ai déjà dit,
une statue de
Jupiter avec une
tête de bélier.
Entre autres
fontaines, ils
en ont une dont
l'eau est tiède
au point du
jour, fraîche à
l'heure du
marché, et
extrêmement
froide à midi ;
aussi ont-ils
soin, à cette
heure, d'arroser
leurs jardins. A
mesure que le
jour baisse,
elle devient
moins froide,
jusqu'au coucher
du soleil,
qu'elle est
tiède. Elle
s'échauffe
ensuite de plus
en plus, jusqu'à
ce qu'on
approche du
milieu de la
nuit : alors
elle bout à gros
bouillons.
Lorsque le
milieu de la
nuit est passé,
elle se
refroidit
jusqu'au lever
de l'aurore on
l'appelle la
fontaine du
Soleil.
CLXXXII. À dix
autres journées
de chemin après
les Ammoniens,
on trouve, sur
cette élévation
de sable, une
autre colline de
sel, semblable à
celle qu'on voit
chez les
Ammoniens, avec
une source d'eau.
Ce canton est
habité ; il
s'appelle
Augiles : c'est
là que les
Nasamons vont,
en automne,
recueillir les
dattes.
CLXXXIII. À dix
autres journées
du territoire
d'Augiles, on
rencontre une
autre colline de
sel avec de
l'eau, et une
grande quantité
de palmiers
portant du
fruit, comme
dans les autres
endroits dont on
vient de parler.
Les Garamantes,
nation fort
nombreuse,
habitent ce
pays. Ils
répandent de la
terre sur le sel,
et sèment
ensuite. Il n'y
a pas loin de là
chez les
Lotophages ;
mais, du pays de
ceux-ci, il y a
trente journées
de chemin
jusqu'à celui où
l'on voit ces
sortes de boeufs
qui paissent en
marchant à
reculons. Ces
animaux paissent
de la sorte
parce qu'ils ont
les cornes
rabattues en
devant, et c'est
pour cela qu'ils
vont à reculons
quand ils
paissent ; car
ils ne peuvent
alors marcher en
avant, attendu
que leurs cornes
s'enfonceraient
dans la terre.
Ils ne diffèrent
des autres
boeufs qu'en
cela, et en ce
qu'ils ont le
cuir plus épais
et plus souple.
Ces Garamantes
font la chasse
aux Troglodytes-Éthiopiens
; ils se servent
pour cela de
chars à quatre
chevaux. Les
Troglodytes-Éthiopiens
sont, en effet,
les plus légers
et les plus
vites de tous
les peuples dont
nous ayons
jamais ouï
parler. Ils
vivent de
serpents, de
lézards et
autres reptiles
; ils parlent
une langue qui
n'a rien de
commun avec
celles des
autres nations ;
on croit
entendre le cri
des
chauves-souris.
CLXXXIV. À dix
journées
pareillement des
Garamantes, on
trouve une autre
colline de sel,
avec une
fontaine et des
hommes à
l'entour : ils
s'appellent
Atarantes, et
sont les seuls
hommes que je
sache n'avoir
point de nom.
Réunis en corps
de nation, ils
s'appellent
Atarantes ; mais
les individus
n'ont point de
noms qui les
distinguent les
uns des autres.
Ils maudissent
le soleil
lorsqu'il est à
son plus haut
point
d'élévation et
de force, et lui
disent toutes
sortes d'injures,
parce qu'il les
brûle, ainsi que
le pays.
A
dix autres
journées de
chemin, on
rencontre une
autre colline de
sel, avec de
l'eau et des
habitants aux
environs. Le
mont Atlas
touche à cette
colline. Il est
étroit et rond
de tous côtés,
mais si haut,
qu'il est, dit-on,
impossible d'en
voir le sommet,
à cause des
nuages dont il
est toujours
couvert l'été
comme l'hiver.
Les habitants du
pays disent que
c'est une
colonne du ciel.
Ils ont pris de
cette montagne
le nom
d'Atlantes, et
l'on dit qu'ils
ne mangent de
rien qui ait eu
vie, et qu'ils
n'ont jamais de
songes.
CLXXXV. Je
connais le nom
de ceux qui
habitent cette
élévation
jusqu'aux
Atlantes ; mais
je n'en puis
dire autant de
ceux qui sont au
delà. Cette
élévation
s'étend
jusqu'aux
colonnes
d'Hercule, et
même par delà.
De dix journées
en dix journées,
on y trouve des
mines de sel et
des habitants.
Les maisons de
tous ces peuples
sont bâties de
quartiers de sel
: il ne pleut en
effet jamais
dans cette
partie de la
Libye ;
autrement les
murailles des
maisons, étant
de sel,
tomberaient
bientôt en ruine.
On tire de ces
mines deux
sortes de sel,
l'un blanc, et
l'autre couleur
de pourpre. Au-dessus
de cette
élévation
sablonneuse,
vers le midi et
l'intérieur de
la Libye, on ne
trouve qu'un
affreux désert,
où il n'y a ni
eau, ni bois, ni
bêtes sauvages,
et où il ne
tombe ni pluie
ni rosée.
CLXXXVI. Tout le
pays qui s'étend
depuis l'Égypte
jusqu'au lac
Tritonis est
habité par des
Libyens nomades,
qui vivent de
chair et de lait.
Ils ne mangent
point de vaches,
non plus que les
Égyptiens, et ne
se nourrissent
point de porcs.
Les femmes de
Cyrène ne se
croient pas
permis non plus
de manger de la
vache, par
respect pour la
déesse Isis,
qu'on adore en
Égypte ; elles
jeûnent même, et
célèbrent des
fêtes
solennelles en
son honneur. Les
femmes de Barcé
non seulement ne
mangent point de
vache, mais
elles
s'abstiennent
encore de manger
de la chair de
porc.
CLXXXVII. Les
peuples à
l'occident du
lac Tritonis ne
sont point
nomades ; ils
n'ont point les
mêmes usages, et
ne font pas à
leurs enfants ce
qu'observent, à
l'égard des
leurs, les
Libyens nomades.
Quand les
enfants des
Libyens nomades
ont atteint
l'âge de quatre
ans, ils leur
brûlent les
veines du haut
de la tête, et
quelques-uns
celles des
tempes, avec de
la laine qui n'a
point été
dégraissée. Je
ne puis assurer
que tous ces
peuples nomades
suivent cet
usage, mais il
est pratiqué par
plusieurs. Ils
prétendent que
cette opération
les empêche
d'être, par la
suite,
incommodés de la
pituite qui
coule du cerveau,
et qu'elle leur
procure une
santé parfaite.
En effet, entre
tous les peuples
que nous
connaissons, il
n'y en a point
qui soient plus
sains que les
Libyens; mais je
n'oserais
assurer qu'ils
en soient
redevables à
cette opération.
Si leurs enfants
ont des spasmes
pendant qu'on
les brûle, ils
les arrosent
avec de l'urine
de bouc ; c'est
un remède
spécifique : au
reste, je ne
fais que
rapporter ce que
disent les
Libyens.
CLXXXVIII. Les
sacrifices des
nomades se font
de cette manière
: ils commencent
par couper
l'oreille de la
victime (cela
leur tient lieu
de prémices), et
la jettent sur
le faîte de
leurs maisons ;
cela fait, ils
lui tordent le
cou : ils n'en
immolent qu'au
Soleil et à la
Lune. Tous les
Libyens font des
sacrifices à ces
deux divinités ;
cependant ceux
qui habitent sur
les bords du lac
Tritonis en
offrent aussi à
Minerve, ensuite
au Triton et à
Neptune, mais
principalement à
Minerve.
CLXXXIX. Les
Grecs ont
emprunté des
Libyennes
l'habillement et
l'égide des
statues de
Minerve, excepté
que l'habit des
Lybiennes est de
peau, et que les
franges de leurs
égides ne sont
pas des
serpents, mais
des bandes
minces de cuir :
le reste de
l'habillement
est le même. Le
nom de ce
vêtement prouve
que l'habit des
statues de
Minerve vient de
Libye. Les
femmes de ce
pays portent en
effet, par-dessus
leurs habits,
des peaux de
chèvres sans
poil, garnies de
franges et
teintes en
rouge. Les Grecs
ont pris leurs
égides de ces
vêtements de
peaux de chèvres.
Je crois aussi
que les cris
perçants qu'on
entend dans les
temples de cette
déesse tirent
leur origine de
ce pays. C'est
en effet un
usage constant
parmi les
Libyennes, et
elles s'en
acquittent avec
grâce. C'est
aussi des
Libyens que les
Grecs ont appris
à atteler quatre
chevaux à leurs
chars.
CXC. Les Libyens
nomades
enterrent leurs
morts comme les
Grecs : j'en
excepte les
Nasamons, qui
les enterrent
assis, ayant
soin, quand
quelqu'un rend
le dernier
soupir, de le
tenir dans cette
altitude, et
prenant garde
qu'il n'expire
couché sur le
dos. Leurs
logements sont
portatifs, et
faits
d'asphodèles
entrelacés avec
des joncs. Tels
sont les usages
de ces nations.
CXCI. À l'ouest
du fleuve
Triton, les
Libyens
laboureurs
touchent aux
Auséens ; ils
ont des maisons,
et se nomment
Maxyes. Ils
laissent croître
leurs cheveux
sur le côté
droit de la tête,
rasent le côté
gauche, et se
peignent le
corps avec du
vermillon : ils
se disent
descendus des
Troyens. Le pays
qu'ils habitent,
ainsi que le
reste de la
Libye
occidentale, est
beaucoup plus
rempli de bêtes
sauvages, et
couvert de bois,
que celui des
nomades ; car la
partie de la
Libye orientale
qu'habitent les
nomades est
basse et
sablonneuse
jusqu'au fleuve
Triton. Mais
depuis ce fleuve,
en allant vers
le couchant, le
pays occupé par
les laboureurs
est très
montagneux,
couvert de bois
et plein de
bêtes sauvages.
C'est dans cette
partie
occidentale de
la Libye que se
trouvent les
serpents d'une
grandeur
prodigieuse, les
lions, les
éléphants, les
ours, les
aspics, les ânes
qui ont des
cornes, les
cynocéphales (têtes
de chien) et les
acéphales (sans
tête), qui ont,
si l'on en croit
les Libyens, les
yeux à la
poitrine. On y
voit aussi des
hommes et des
femmes sauvages,
et une multitude
d'autres bêtes
féroces, qui
existent
réellement.
CXCII. Dans le
pays des nomades,
on ne trouve
aucun de ces
animaux ; mais
il y en a
d'autres, tels
que des pygarges,
des chevreuils,
des bubalis, des
ânes, non pas de
cette espèce
d'ânes qui ont
des cornes, mais
d'une autre qui
ne boit point.
On y voit aussi
des oryx qui
sont de la
grandeur du
boeuf : on se
sert des cornes
de cet animal
pour faire les
coudes des
cithares. Il y a
aussi des
renards, des
hyènes, des
porcs-épics, des
béliers sauvages,
des dictyes, des
thoès, des
panthères, des
boryes, des
crocodiles
terrestres qui
ont environ
trois coudées de
long, et qui
ressemblent aux
lézards ; des
autruches, et de
petits serpents
qui ont chacun
une corne.
Toutes ces
sortes d'animaux
se rencontrent
en ce pays, et
outre cela tous
ceux qui se
trouvent
ailleurs,
excepté le cerf
et le sanglier,
car il n'y a ni
sangliers ni
cerfs en Libye.
On y voit aussi
trois sortes de
rats, les
dipodes, les
zégéries, nom
libyen qui
signifie en
notre langue des
collines ; les
rats de la
troisième espèce
s'appellent
hérissons. Il
naît outre cela,
dans le Silphium,
des belettes qui
ressemblent à
celles de
Tartessus.
Telles sont,
autant que j'ai
pu le savoir par
les plus exactes
recherches, les
espèces
d'animaux qu'on
voit chez les
Libyens nomades.
CXCIII. Les
Zauèces touchent
aux
Libyens-Maxyes ;
quand ils sont
en guerre, les
femmes
conduisent les
chars.
CXCIV. Les
Gyzantes
habitent
immédiatement
après les
Zauèces. Les
abeilles font
dans leur pays
une prodigieuse
quantité de miel
; mais on dit
qu'il s'y en
fait beaucoup
plus encore par
les mains et
l'industrie des
hommes. Les
Gyzantes se
peignent tous
avec du
vermillon, et
mangent des
singes : ces
animaux sont
très communs
dans leurs
montagnes.
CXCV. Auprès de
ce pays est, au
rapport des
Carthaginois,
une île fort
étroite, appelée
Cyraunis ; elle
a deux cents
stades de long.
On y passe
aisément du
continent ; elle
est toute
couverte
d'oliviers et de
vignes. Il y a
dans cette île
un lac, de la
vase duquel les
filles du pays
tirent des
paillettes d'or
avec des plumes
d'oiseaux
frottées de poix.
J'ignore si le
fait est vrai ;
je me contente
de rapporter ce
qu'on dit : au
reste, ce récit
pourrait être
vrai, surtout
après avoir été
témoin moi-même
de la manière
dont on tire la
poix d'un lac de
Zacynthe. Cette
île renferme
plusieurs lacs :
le plus grand a
soixante-dix
pieds en tout
sens, sur deux
orgyies de
profondeur. On
enfonce dans ce
lac une perche à
l'extrémité de
laquelle est
attachée une
branche de myrte
; on retire
ensuite cette
branche avec de
la poix qui a
l'odeur du
bitume, mais qui
d'ailleurs vaut
mieux que celle
de Piérie. On
jette cette poix
dans une fosse
creusée près du
lac ; et, quand
on y en a amassé
une quantité
considérable, on
la retire de la
fosse pour la
mettre dans des
amphores. Tout
ce qui tombe
dans le lac
passe sous terre,
et reparaît
quelque temps
après dans la
mer, quoiqu'elle
soit éloignée du
lac d'environ
quatre stades.
Ainsi ce qu'on
raconte de l'île
qui est près de
la Libye peut
être vrai.
CXCVI. Les
Carthaginois
disent qu'au
delà des
colonnes
d'Hercule il y a
un pays habité
où ils vont
faire le
commerce. Quand
ils y sont
arrivés, ils
tirent leurs
marchandises de
leurs vaisseaux,
et les rangent
le long du
rivage : ils
remontent
ensuite sur
leurs bâtiments,
où ils font
beaucoup de
fumée. Les
naturels du
pays, apercevant
cette fumée,
viennent sur le
bord de la mer,
et, après y
avoir mis de
l'or pour le
prix des
marchandises,
ils s'éloignent.
Les Carthaginois
sortent alors de
leurs vaisseaux,
examinent la
quantité d'or
qu'on a apportée,
et, si elle leur
paraît répondre
au prix de leurs
marchandises,
ils l'emportent
et s'en vont.
Mais, s'il n'y
en pas pour leur
valeur, ils s'en
retournent sur
leurs vaisseaux,
où ils restent
tranquilles. Les
autres
reviennent
ensuite, et
ajoutent quelque
chose, jusqu'à
ce que les
Carthaginois
soient contents.
Ils ne se font
jamais tort les
uns aux autres.
Les Carthaginois
ne touchent
point à l'or, à
moins qu'il n'y
en ait pour la
valeur de leurs
marchandises ;
et ceux du pays
n'emportent
point les
marchandises
avant que les
Carthaginois.
n'aient enlevé
l'or.
CXCVII. Tels
sont les peuples
de Libye dont je
peux dire les
noms. La plupart
ne tenaient pas
alors plus de
compte du roi
des Mèdes qu'ils
ne le font
encore à présent.
J'ajoute que ce
pays est habité
par quatre
nations, et
qu'autant que je
puis le savoir,
il n'y en a pas
davantage. De
ces quatre
nations, deux
sont indigènes
et deux sont
étrangères. Les
indigènes sont
les Libyens et
les Éthiopiens.
Ceux-là habitent
la partie de la
Libye qui est au
nord, et ceux-ci
celle qui est au
midi : les deux
nations
étrangères sont
les Phéniciens
et les Grecs.
CXCVIII. Quant à
la bonté du
terroir, la
Libye ne peut, -
à ce qu'il me
semble, être
comparée ni à
l'Asie ni à
l'Europe : j'en
excepte
seulement le
Cinyps, pays qui
porte le même
nom que le
fleuve dont il
est arrosé. Il
peut entrer en
parallèle avec
les meilleures
terres à blé :
aussi ne
ressemble-t-il
en rien au reste
de la Libye.
C'est une terre
noire, et
arrosée de
plusieurs
sources : elle
n'a rien à,
craindre de la
sécheresse, et
les pluies
excessives ne
faisant que
l'abreuver, elle
n'en souffre
aucun dommage :
il pleut en
effet dans cette
partie de la
Libye. Ce pays
rapporte autant
de grains que la
Babylonie. Celui
des Évespérides
est aussi un
excellent pays.
Dans les années
où les terres se
surpassent
elles-mêmes en
fécondité, elles
rendent le
centuple ; mais
le Cinyps
rapporte environ
trois cents pour
un.
CXCIX. La
Cyrénaïque est
le pays le plus
élevé de cette
partie de la
Libye habitée
par les nomades.
Il y a trois
saisons
admirables pour
la récolte : on
commence la
moisson et la
vendange sur les
bords de la mer
; on passe
ensuite au
milieu du pays,
qu'on appelle
les Bunes (collines)
: le blé et le
raisin sont
alors mûrs, et
ne demandent
qu'à être
recueillis.
Pendant qu'on
fait la récolte
du milieu des
terres, ils
viennent aussi
en maturité dans
les endroits les
plus reculés, et
veulent être
moissonnés et
vendangés. On a
par conséquent
mangé les
premiers grains,
et l'on a bu les
premiers vins,
lorsque la
dernière récolte
arrive. Ces
récoltes
occupent les
Cyrénéens huit
mois de l'année.
Mais en voilà
assez sur ce
pays.
CC. Les Perses
qu'Aryandès
avait envoyés
d'Égypte pour
venger Phérétime,
étant arrivés
devant Barcé, en
firent le siège,
après l'avoir
sommée de leur
livrer les
meurtriers
d'Arcésilas. Les
Barcéens, étant
tous coupables
de la mort de ce
prince,
n'écoutèrent
point leurs
propositions.
Pendant neuf
mois que dura le
siège, les
Perses
poussèrent des
mines jusqu'aux
murailles, et
attaquèrent la
place
vigoureusement.
Un ouvrier en
cuivre découvrit
leurs mines par
le moyen d'un
bouclier
d'airain. Il
faisait le tour
de la ville,
dans l'enceinte
des murailles,
avec son
bouclier, et
l'approchait
contre terre.
Dans les
endroits où les
ennemis ne
minaient pas, le
bouclier ne
rendait aucun
son ; mais il en
rendait dans
ceux où ils
travaillaient.
Les Barcéens
contre-minèrent
en ces endroits,
et tuèrent les
mineurs perses.
Quant aux
attaques
ouvertes, les
habitants surent
les repousser.
CCI. Le siège de
Barcé durait
depuis longtemps,
et il s'y était
fait de part et
d'autre des
pertes
considérables,
mais non moins
fortes du côté
des Perses que
du côté des
Barcéens,
lorsque Amasis,
qui commandait
l'armée de terre,
voyant qu'il ne
pouvait les
vaincre à force
ouverte, résolut
de les réduire
par la ruse.
Voici le
stratagème qu'il
imagina.
Il fit creuser
pendant la nuit
un large fossé,
sur lequel on
mit des pièces
de bois très
faibles qu'on
couvrit de terre,
de sorte que le
terrain était de
niveau et égal
partout.. Au
point du jour,
il invita les
Barcéens à un
pourparler : ils
reçurent cette
nouvelle avec
joie, ne
demandant pas
mieux que d'en
venir à un
accommodement.
On fit donc un
traité, et on
jura de part et
d'autre, sur le
fossé couvert,
d'en observer
tous les
articles tant
que ce terrain
subsisterait
dans l'état où
il était alors.
Les articles du
traité portaient
que les Barcéens
payeraient au
roi un tribut
convenable, et
que les Perses
ne formeraient
point de
nouvelles
entreprises
contre eux.
Les serments
prêtés, les
Barcéens,
comptant sur la
foi du traité,
ouvrirent toutes
leurs portes,
sortirent de la
ville, et y
laissèrent
entrer ceux des
ennemis qui
voulurent y
venir. Pendant
ce temps-là, les
Perses, ayant
détruit le pont
caché, entrèrent
en foule dans la
ville. Ils
rompirent le
pont, afin de ne
point violer le
traité qu'ils
avaient juré
d'observer tant
que le terrain
sur lequel ils
se faisaient
demeurerait en
l'état où il
était alors. En
effet, le pont
une fois détruit,
le traité ne
subsistait plus.
CCII. Les Perses
livrèrent
Phérétimé les
plus coupables
d'entre les
Barcéens ;
aussitôt elle
les fit mettre
en croix autour
des murailles ;
et, ayant fait
couper le sein à
leurs femmes,
elle en fit
border le mur.
Les Barcéens
furent tous mis
au pillage par
l'ordre de cette
princesse,
excepté les
Battiades et
ceux qui
n'avaient eu
aucune part à
l'assassinat de
son fils :
ceux-ci eurent
la permission de
rester dans la
ville.
CCIII. Les
Perses, ayant
réduit en
esclavage le
reste des
Barcéens, se
mirent en marche
pour retourner
en Égypte. Quand
ils furent
arrivés à Cyrène,
les Cyrénéens,
par égard pour
un oracle, les
laissèrent
passer librement
par leur ville.
Pendant qu'ils
la traversaient,
Barès, qui
commandait
l'armée navale,
leur dit de la
piller ; mais
Amasis, qui
était à la tête
des troupes de
terre, ne voulut
pas le permettre,
leur
représentant
qu'ils n'avaient
été envoyés que
pour réduire
Barcé.
Lorsqu'ils
l'eurent
traversée, et
qu'ils eurent
assis leur camp
sur la colline
de Jupiter
Lycéen, ils se
repentirent de
ne s'en être pas
emparés. Ils
retournèrent
donc sur leurs
pas, et
tentèrent de
rentrer dans la
place ; mais les
Cyrénéens se
mirent en devoir
de s'y opposer.
Quoiqu'il ne se
présentât
personne pour
combattre, les
Perses furent
néanmoins
tellement
effrayés, qu'ils
se retirèrent
précipitamment à
soixante stades
de là, et y
posèrent leur
camp. Tandis
qu'ils y
campaient, il
leur vint un
courrier de la
part d'Aryandès,
qui les
rappelait : ils
eurent alors
recours aux
Cyrénéens, et
les prièrent de
leur donner des
vivres. Les
Cyrénéens leur
en ayant accordé,
ils reprirent la
route d'Égypte.
Mais tant qu'ils
furent en marche,
et jusqu'à leur
arrivée en
Égypte, les
Libyens ne
cessèrent de les
harceler pour
enlever leurs
habits et leurs
bagages, tuant
tous les
traîneurs et
tous ceux qui
s'écartaient du
gros de l'armée.
CCIV. Cette
armée des Perses
ne pénétra pas
plus avant en
Libye que le
pays des
Évespérides.
Quant à ceux
d'entre les
Barcéens que les
Perses avaient
réduits en
servitude, on
les envoya
d'Égypte au roi
Darius. Ce
prince leur
donna des terres
dans la
Bactriane, avec
une bourgade qui
subsiste encore
maintenant, et à
laquelle ils
donnèrent le nom
de Barcé.
CCV. Phérétime
fit une fin
malheureuse. À
peine fut-elle
de retour de
Libye en Égypte,
après s'être
vengée des
Barcéens,
qu'elle périt
misérablement,
dévorée par les
vers dont son
corps fourmilla
: tant il est
vrai que les
dieux haïssent
et châtient ceux
qui portent trop
loin leur
ressentiment.
Telle fut la
vengeance que
Phérétime, femme
de Battus,
exerça contre
les Barcéens.
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